Pour ce morceau, je suis restée hyper sage. Bon, j'ai fais quelques petites fantaisies par ci par là mais rien de trop éloigné de l'original pour ne pas perturber ma partenaire. Elle a l'air de suivre le rythme en tout cas, donc je suppose que ça ne l'a pas dérangé. Mais bon, on reste quand même classique. Pour le moment, c'est un peu comme une première rencontre. On ne se connait pas donc on fait connaissance. Simplement. Comment tu t'appelles ? Tu as quel âge ? Bref, les formulations habituelle quoi. Casse-noisette. La base. Pas de chance de faire d'erreur, on apprend à se connaître. Je lui montre déjà que je suis capable d'être classique mais que j'aime bien sortir un peu des clous même si je me canalise un minimum. Elle, elle me montre que c'est quelqu'un de très sérieux et de perfectionniste, qui ne se laisse pas perturber par mes écarts. Un tempérament stable donc.

Lorsque le morceau se termine, je relève mes doigts des touches pour m'en écarter légèrement bien que restant tout de même un léger moment en suspension. Pas mal, pas mal, on a pas fait d'erreur et le publique à l'air content. On a le droit à quelques applaudissement mais honnêtement je m'en fous. Moi ce qui m'intéresse c'est de voir ce qu'en pense Eden. Et je ne suis pas déçue de sa réaction. Elle se tourne vers moi, un petit sourire qui semble me narguer sur le visage et le regard brillant.

- L'échauffement est terminé, on passe aux choses sérieuses ?

J'esquisse un sourire en haussant un sourcil. Les choses sérieuses hein ? Alors comme ça, madame trouve que l'un des plus grands compositeurs du monde n'est pas "une choses sérieuse", hm ? Ok, je suis curieuse de voir ce que tu vas me proposer, blondinette.
En tout cas, elle semble très sûre d'elle. Je me demande bien ce qu'elle va me sortir. Si c'est une composition, ça va être coton mais je suis joueuse. Et j'ai pas trop de mal à analyser rapidement une musique donc je saurais me débrouiller. Et puis, j'aime improviser.

je me redresse, le visage toujours tourné vers elle comme pour anticiper le début du morceau. J'ai jamais fais de violon donc je ne sais pas précisément quelles sont les notes mais je guette ses gestes. Je pourrai lire le rythme en fonction de la danse de l'archet.
Mes mains se replacent, le bout de mes doigts effleurant à peine les touches, dans l'attente du morceau. Et lorsqu'il commence, je prends un petit temps sans rien faire pour chercher les accords dans ma tête. Je l'observe, ma tête balance un peu au rythme de son violon. Hm, ça me fait penser à du Lindsey Stirling, elle a un style très sautillant comme ça.
Je tapote un peu mon pied au sol pour le rythme puis baisse les yeux sur les notes, passant en revu mes octaves en faisant bouger mes doigts sans toucher encore au piano. J'attends le moment opportun pour la rejoindre et dès que je le trouve, je m'engouffre dans le morceau qu'elle m'impose. Je l'ai rejoins sur un "creux", un petit moment de flottement. Très simple, ça me permet juste de faire quelques accords sans que ça soit trop compliqué. Mi mineur, sol, re. Je tourne la tête vers elle, observe ses mouvements. Et quand je la sens faire monter un peu la tension musicale, ma mélodie se complexifie. J'augmente aussi. La mineur, ascenceur mi mineur et on repart pour un tour. Le rythme s'accélère à nouveau et je me laisse emporter par le jeu d'Eden. Je me tourne vers elle tout en continuant de jouer pour la regarder. Son archet devient plus frétillant. Je suis sa danse. Je commence à capter les notes sur lesquels elle joue et le rythme. En soit c'est pas trop compliqué. Refrait j'ai Mi mineur, Do, La mineur et retour sur le Mi mineur. Et le couplet, Mi mineur, sol, Re, on retombe sur le la mineur et le mi mineur pour repartir sur un tour. Pas trop d'accord donc ça me laisse de la place pour m'amuser. Je fais une mélodie qui s'harmonise à la sienne sur un crescendo. Il y a quelque chose de nouveau dans ses gestes. Je vois à son profil qu'elle ferme les yeux et que son sourire ne quitte pas ses lèvres.

Je commence à comprendre le rythme donc je m'amuse avec les accords. Une tierce par ci, une sixte par là. Bref, je m'amuse. Puis viens le couplet. Je ralentis exprès. Mes notes deviennent plus simples. Et sur la montéé, j'accélère un peu, j'intensifie la mélodie. Son archet se lève dans un coup net pour imposer un silence et mes mains se lève du piano en même temps. Mes yeux ne la quitte pas, attendant la reprise de la musique. Et je la suis. Je la laisse m'emporter dans sa danse. Le morceau ressemble sûrement pas à ce dont elle a l'habitude puisque je suis sur une improvisation totale mais ça n'a pas l'air de la déranger. Parfait. De toute façon, elle n'avait pas ciller sur mes petits écarts de tout à l'heure.

J'ai la sensation que le temps est un peu suspendu. Je me sens transporter dans un monde que je ne connais pas. Maintenant que j'y pense, c'est la première fois que je joue avec quelqu'un. Émile n'était pas musicien. J'avais des leçon particulière. Quand je voulais faire un cover, je jouais avec moi-même. En réalité, penser à ça me fait remonter un certain sentiment de solitude. Mais le violon d'Eden me raccroche à la réalité du moment. C'est un peu comme si elle me tirait avec elle. Je n'ai jamais eu de conversation musicale comme ça et je dois avouer que ça a quelque chose d'assez magique.
La tension redescend doucement pour mieux remonter. Je crois que je m'amuse vraiment beaucoup même si je serais sûrement incapable de reproduir exactement la mélodie que l'improvise sur le moment. Alors je profite juste de cet instant ephémère, jusqu'à la dernière note. Eden lève son archet, se redressant comme si elle se retrouvait baignée dans une lumière imaginaire, marquant un point final au morceau. Et je relâche les notes. Mes doigts restent encore à peine posés sur les touches avant de les décoller lentement, comme une caresse. Je me redresse. Il y a un petit silence puis une salve d'applaudissement. Un sourire étire mes lèvres alors que je regarde Eden se tourner vers moi. Elle m'adresse une expression joyeuse bien qu'un peu pudique. Je manque un battement de coeur. C'est drôle, elle l'était moins quand elle jouait. Pas si sage finalement le petite demoiselle. Enfin petite, vu comme elle me dépasse d'une tête, c'est vite dit hein.

En tout cas, elle voulait me montrer qu'elle savait jouer, c'est un défi réussi. J'avais de mauvais appriori à cause du jeu monocorde de son père et de sa façon de me crier dessus pour que je descende du toit. Mais comme quoi, il y a un peu de folie en elle finalement. J'aime bien. Je suis contente de découvrir ça, elle me parait beaucoup plus intéressante soudainement. Je me demande bien ce que sa carapace cache d'autre.

Je me tourne un peu mieux pour être face à elle et finit par me lever du tabouret. Je lui adresse un sourire avant d'incliner la tête en signe de petit salut puis je l'applaudis. De façon plus douce que le plublic, ceci dit. Après tout, mon geste ne veut pas vraiment dire la même chose. C'est plutôt ma façon à moi de lui dire qu'elle m'a convaincu et que j'ai apprécié jouer avec elle. Je maintiens ma proposition pour une collaboration, d'ailleurs. On a l'air vraiment très en phase. Après tout, on a été capable de s'adapter l'une par rapport à l'autre et le tout en improvisant. C'est rare ce genre de connexion en musique. En tout cas, c'est la première fois que ça m'arrive et je suis contente de découvrir que je peux être totalement en phase avec quelqu'un. Enfin, depuis le départ d'Émile, je veux dire. Je suis pas vraiment connue pour m'accorder avec les gens. Je suis souvent en décalage. Je pensais pas vivre un truc du style, honnêtement. J'avoue que ça me fait un peu bizarre...