Je m'étirai longuement dans mon lit, ce qui eut pour effet de donner le top départ à Zoro pour me rejoindre et pour quémander ses petits câlins du matin. Il avait ses habitudes à force, mais ça m'allait très bien. Ses ronronnements avaient un effet miraculeux sur moi. C'était mon antistress personnel.

Il me suivit rapidement dans tout l'appartement alors que je procédais à ma routine matinale. Ces derniers jours avaient été quelques peu mouvementés. Et ce petit séjour dans le train des souvenirs avait été très enrichissant et plein de rencontres. Je savais qui habitait dans mon immeuble, mais ce week-end m'avait permis d'apprendre à mieux connaitre certains, et à renouer avec d'autres. J'avais pu faire une petite surprise à ma meilleure amie également, elle qui avait l'air bien déboussolée lors de la réception. Je m'étais notée dans un coin de ma tête de reparler de tout ça avec elle à l'occasion.

Mais l'occasion avait du mal à se présenter. Entre nos cours et mes recherches sur les Astralisés, je n'avais pas pris le temps d'aller le voir. Et je comptais bien le faire aujourd'hui. On était dimanche et je la savais chez elle, qui était justement à deux pas de mon appartement. Moi ? Avoir fait exprès ? Mais non voyons.

Je refermais la porte de mon appartement à clé avant de me diriger vers l'ascenseur. J'aurai pu prendre les escaliers mais je devais bien avouer que je n'avais pas la motivation de descendre cinq étages aujourd'hui. J'appuyai sur le bouton zéro et l'ascenseur se mit en marche... avant de s'arrêter un étage plus bas. Tiens ? Lequel de mes voisins était aussi matinal un dimanche ?

Si pour beaucoup de gens, le dimanche matin était synonyme de grasse mat’, pour Nathan c’était plutôt l’inverse. Debout sur le coup des sept heures, le jeune homme s’était fait discret pour ne pas réveiller sa colocataire tandis qu’il petit-déjeunait frugalement. Un jus d’orange et quelques gâteaux secs plus tard, il était retourné se changer dans sa chambre pour passer sa tenue et ses baskets de running. Même s' il n’était pas un accro du sport, ses petites séances de jogging étaient pour l’auteur une bonne façon de s’entretenir, mais aussi d’évacuer par l’effort une bonne partie du stress qu’il pouvait ressentir au quotidien. Une habitude qui ne s’était que renforcée lorsqu’il avait déménagé dans ce quartier en bord de Seine, idéal pour des petites balades matinales.

C’était la première fois qu’il retournait courir depuis leur retour d’Angleterre quelques jours plus tôt, et il avait déjà une petite idée en tête de son trajet, qui se finirait immanquablement par un petit crochet par la boulangerie de Marinette pour pouvoir la saluer, mais surtout, ramener à Zoé quelques viennoiseries dont elle raffolait pour le petit déjeuner. Tout un programme ! Mais avant le réconfort, place à l’effort ! Enfin, pas tout de suite.

Assez paradoxalement pour quelqu’un qui s’apprêtait à courir pendant deux bonnes heures, Nathan opta pour l’ascenseur au lieu de prendre les escaliers. Il allait profiter du court laps de temps avant que la cabine n’arrive à leur étage pour mettre ses écouteurs, mais les portes s’ouvrirent plus rapidement que prévu, révélant derrière elle un visage familier. Un large sourire apparut sur son visage alors qu’il entrait dans l’ascenseur.

- Tiens, tiens, tiens ... Vous ici ? Vous êtes bien matinale, Lady Césaire !

Je savais qu'il s'agirait d'un visage connu car je connaissais tous mes voisins du quatrième. Restait à savoir lequel. Un sourire éclatant répondit à ma question muette quand je vis apparaitre Nathan derrière les portes. Je le détaillai un instant du regard et vis qu'il portait une tenue de sport. Voici donc pourquoi il était si matinal. Un petit jogging du dimanche donc. Une idée fort intéressante. Quand j'y repensai, je passais tellement de temps à travailler ou à courir partout à la rechercher d'infos pour l'Astrablog que je ne prenais plus le temps de faire du sport. Il faudrait peut-être que je m'y remette.

"Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, Sire Delune, vous devez le savoir mieux que personne."

Je m'écartais légèrement pour le laisser entrer et lui sourit en retour.

"Tu fais donc partie de ceux qui arrivent à se lever tôt pour aller faire du sport ? Tu es bien courageux. Et en même temps... tu prends l'ascenseur pour descendre..."

Je laissai ma phrase en suspens pour laisser échapper un petit rire.

"Non franchement, je te tire mon chapeau. Il faudrait que je m'y remette moi."

Les portes se refermèrent et nous recommençâmes à descendre. Mais alors que j'allais continuer la discussion avec Nathan, l'ascenseur s'arrêta soudain. Je manquai de tomber et me rattrapai in extremis au jeune homme. La lumière grésilla juste après l'arrêt mais resta allumée. J'avais l'impression qu'il bougeait encore, c'était une sensation étrange. Mon cœur se mit à battre plus vite et ma respiration s'accéléra. Je relâchai Nathan pour aller vers le tableau de commande et j'appuyai frénétiquement sur le bouton d'appel.

"Allez, allez..."

Mais rien ne se passa. Non, non... On ne pouvait pas rester coincé comme ça entre deux étages ! La panique me gagnait et je me laissais glisser contre le mur, la tête dans les mains.

Croiser Alya dans l'ascenseur était réellement une bonne surprise aux yeux du jeune écrivain. De toutes les rencontres qu'il avait pu faire à bord du Train des Souvenirs, elle était sans conteste la plus mémorable. Le courant était passé instantanément entre eux, sans doute grâce à leurs affinités communes pour les histoires mystérieuses et la culture du web. Et même s'ils ne s'étaient cotoyés que pendant la réception d'accueil, le fait qu'ils aient étés parmi les derniers à rester debout ce soir là avait été un prétexte à bien des conversations passionnantes. Le fait qu'elle s'avère être sa voisine était la cerise sur le gâteau, et ils s'étaient promis de se capter à son retour pour continuer à élaborer des théories farfelues sur les Astralisés.

Penchant la tête sur le côté avec un petit air faussement réprobateur, Nathan répliqua immédiatement à sa petite pique.

- Chut. J'ai jamais dit que j'étais quelqu'un de foncièrement logique. Et puis regarde : en prenant l'ascenseur, j'ai le droit au plaisir de ta compagnie avant d'aller souffrir dans le froid !

Une fois les portes closes, la cabine démarra sa lente descente. Avec un petit geste spontané, Nathan rebondit sur le compliment qu'elle lui fit :

- Si tu veux, la prochaine fois, on peut aller courir ensemble ! Promis, on ne fera que des petites foulées ... Wow !

L'arrêt subit de l'ascenseur entre deux étages surprit Nathan autant qu'Alya, mais il resta suffisamment stable pour pouvoir la rattraper quand elle perdit l'équilibre.

- Hop là ... Ca va aller ?

Aucune réponse ne vint, la journaliste allant directement s'acharner sur le panneau de commandes de l'ascenseur qui refusait obstinément de répondre. La réaction viscérale d'Alya lui fit hausser un sourcil légèrement inquiet, et il vint poser sa main sur son épaule.

- Hey, calme toi ... On va appeler quelqu'un, d'accord ?

Je n'avais réellement appris à connaitre Nathan que durant la réception d'accueil du Train. J'y étais à la base pour faire une surprise à ma meilleure amie Marinette et finalement ça m'avait permis de sympathiser avec plusieurs de mes voisins. Dont Nathan avec qui j'avais pas mal discuté sur beaucoup de sujets. On avait pas mal de choses en commun et nos discussions futures promettaient d'être intéressantes.

Je levais les mains en signe de capitulation face à sa réponse, non sans me départir de mon sourire.

"Que serait la vie si tout était logique, n'est-ce pas ? Plaisir partagé, très cher ! Même si moi, je ne vais pas souffrir dans le froid."

J'aurai pu lui répondre ensuite que ça aurait été avec plaisir que je l'aurai accompagné dans ses petits joggings, qu'à deux on arrivait à bien se motiver et que tout le monde en sortait gagnant. Mais je n'en eus pas le temps que l'ascenseur s'arrêtait brusquement. Nathan me rattrapa mais j'étais déjà déconnectée. D'ordinaire, je l'aurai remercié de m'avoir stabilisée, mais pas là. La seule chose qui m'importait, c'était d'appeler de l'aide pour nous sortir de là.

M'acharner sur le bouton ne servit à rien, il ne marchait pas. Comment c'était possible ? Je croyais que le bouton d'urgence était là justement quand plus rien ne fonctionnait ! La respiration haletante, je sentis que rester debout ne m'aiderait pas, alors je m'assis. Je sentis alors la main de Nathan sur mon épaule et mon réflexe fut de poser la mienne par dessus. Il était avec moi, je pouvais me raccrocher à ça. Je n'étais pas seule.

"Je... Ok, mais... bouton d'urgence..."

Il l'avait bien vu, pas besoin de répéter. Je sortis mon téléphone d'une main, mais je tremblais trop, impossible de taper le moindre numéro dessus. Il fallait que je commence par me calmer. Mais je n'y arrivais pas.

Même si comme tout un chacun, la perspective de se retrouver enfermé dans un ascenseur ne le réjouissait pas, Nathan n’éprouvait cependant rien d’autre qu’un léger agacement, à mille lieues de l’anxiété galopante qui naquit chez Alya. Il était vrai qu’il la connaissait peu, mais les discussions qu’ils avaient eu à bord du train lui avaient laissé l’impression d’avoir affaire à quelqu’un qui était plutôt aventureuse et téméraire. Alors en la voyant perdre si rapidement ses moyens face à la panne, il en déduit immédiatement que la peur qu’elle éprouvait n’était pas rationelle, et qu’elle était certainement en proie à une phobie que la jeune femme ne controllait pas.

Il jeta rapidement un coup d'œil dans la direction du panneau de l’ascenseur après qu’elle ait attiré son attention sur le bouton d’urgence. A dire vrai, il n’avait jamais eu à l’utiliser. Est-ce que le simple fait d’appuyer dessus suffisait à signaler la situation ? Est-ce qu’ils étaient censés être mis en contact avec un opérateur ? Il n’en avait aucune idée. Mais aussi urgente que ne puisse être cette question, elle lui apparut comme secondaire lorsqu’il vit Alya se mettre à trembler au sol.

Sans même y réfléchir, Nathan s’agenouilla pour lui faire face, et s’empara des mains de sa voisine pour les prendre dans les siennes, laissant son téléphone retomber sur ses cuisses.

- Alya … Alya. Écoute-moi. Ça va bien se passer. Tu n’es pas toute seule, je suis là. Et on va sortir de cet ascenseur. Mais il faut que tu retrouves ton calme, d’accord ? Alors essaie de te concentrer sur ma voix, et respire à fond.

Tout en lui parlant, le jeune homme avait commencé à masser de ses pouces les paumes des mains tremblantes de la journaliste, en y dessinant des petits cercles concentriques.

Je crois que je ne m'étais jamais retrouvée dans cet état auparavant. Pas au point de comprendre que j'avais la phobie des petits espaces fermés. Mais après tout, j'étais soit le genre de femme qui passait son temps dehors à glaner des informations, soit celle qui restait devant son ordinateur pour faire d'autres recherches et partager mes connaissances avec le monde. Je voyageais toujours, virtuellement ou réellement. Alors avoir peur d'être enfermée quelque part sans aucun moyen de communication avec l'extérieur, ça pouvait presque paraitre logique. Si les phobies n'étaient pas irrationnelles.

N'ayant jamais eu à gérer les phobies, je ne savais clairement pas comment agir. J'avais essayé le bouton d'urgence mais rien ne montrait comment il fonctionnait. Peut-être qu'appuyer dessus suffisait, mais émettre un signal sonore pour nous prévenir que quelqu'un était au courant de la situation aurait été plutôt pas mal. Au moins pour nous rassurer. Pour me rassurer. En attendant, c'était Nathan qui sembla vouloir prendre ce rôle et j'étais bien incapable d'opposer toute résistance.

Lorsque ses mains s'emparèrent des miennes, je me reconnectai un peu plus à la réalité. J'avais un point d'ancrage ici et je devais m'y accrocher pour ne pas me laisser submerger par mes émotions. Le sort de mon téléphone me parut secondaire, lui qui, pourtant, était presque mon objet le plus précieux. Nathan essayait de me calmer, avec sa voix et ses gestes.

"Tu es... là. Me... calmer... Respirer..."

Ma voix tremblait, mes mains un peu moins. En revanche, respirer me paraissait encore très compliqué. J'arrivais à me concentrer sur sa voix et ses gestes qui faisaient tout pour m'apaiser, tentant d'oublier où nous nous trouvions. Mais je n'arrivais pas à prendre d'inspiration profonde. C'était comme si l'air restait bloqué dans ma gorge. Mon regard, paniqué et terrifié, se releva vers celui de Nathan.

Il avait beau ne pas être sujet à ce genre de choses, Nathan savait reconnaître une crise d’angoisse quand il en voyait une. Il en avait déjà été le témoin malencontreux, et à ce titre, il avait pleinement conscience que sa marge de manœuvre était limitée. Le corps d’Alya était soumis à une telle panique qu’il ne répondait plus, et même avec toute la bonne volonté du monde, il n’était pas garanti qu’il parvienne à enrayer le phénomène.

La journaliste semblait tout de même avoir compris ce qu’il tentait de faire, à savoir essayer de focaliser son attention sur lui, et pas sur le contexte plutôt oppressant que représentait cet ascenseur en panne. Mais la façon pénible dont les mots sortaient de sa bouche, et l’expression terrorisée qu’elle arborait n’étaient pas bon signe. Nathan n’avait aucune peine à ressentir sa détresse, et il dut redoubler d’effort pour ne rien laisser paraître, gardant une expression calme, et un sourire réconfortant sur son visage.

- N’aies pas peur Alya. Tu peux le faire. Tu respires tous les jours sans même y réfléchir. Il faut juste que tu te concentres. Oublie tout le reste, on est que tous les deux, et je te lâcherai pas. Essaye de retrouver ton souffle, et quand tu le tiens, essaie d’amplifier ta respiration au fur et à mesure, autant que tu peux.

Il cessa alors de masser les paumes d’Alya pour mieux prendre ses mains dans les siennes et les serrer doucement.

- Ferme les yeux. Concentre toi sur autre chose. Notre voyage en train. Essaye de te souvenir des détails. Ma tenue, le discours de Solodid, les fous-rires qu’on a eu après … Focalise ton esprit là dessus.

Il savait que la visualisation positive pouvait aider, et il espérait que ces bons souvenirs communs feraient leur effet.

Il fallait que j'arrive à me créer une bulle qui m'isolerait de cet événement externe qui m'oppressait. C'était le genre de choses que je savais très bien faire, que ce soit pour travailler ou pour faire mes recherches. Si j'arrivais à le refaire ici, je savais que ça me permettrait de me sentir mieux. Mais cette fois, je pouvais inclure quelqu'un dans cette bulle. C'était certainement lui qui allait m'aider à la créer.

J'étais paniquée et totalement terrorisée mais lui gardait une attitude calme et posée, un sourire rassurant sur les lèvres. Je tentais de me focaliser là-dessus. Il faisait tout pour m'aider, je le sentais. Je pouvais le faire. Allez Alya, tu vas y arriver ! Concentre toi sur ce que te dit Nathan. Il avait raison, on respirait chaque jour sans y penser, c'était un mécanisme naturel. C'était à moi de réparer ce dysfonctionnement de mon corps.

Je fermais les yeux, serrant ses mains dans les miennes. Si je ne le voyais plus, le sentir me permettrait de ne pas paniquer à nouveau. Il était là, il ne me laisserait pas tomber. Je tentais de me refaire notre voyage en train dans ma tête.

"Je portais une belle robe violette ce jour-là... et j'avais troqué mes lunettes pour des lentilles. Quant à toi... tu portais un costume qui te donnait un style Sherlock Holmes... qui t'allait plutôt bien."

Ma bulle se créait et ma respiration commençait à s'apaiser, je devais continuer. J'essayais de prendre de longues inspirations comme il me l'avait dit mais je n'arrivais pas encore à bien me focaliser dessus.

"On a... fait pas mal de blagues sur l'ambiance, c'était ... très amusant. Et il y a eu... l'incident avec Taylor... Et Eve qui lui a retiré la ficelle de sa robe."

Un petit rire m'échappa, me privant légèrement de l'air durement récupéré. Je fis une pause pour respirer.