Artémis n'avait pas beaucoup changé. Depuis qu'ils étaient adolescents, elle avait toujours eu cette tendance à rougir facilement face à a gentillesse sincère ou aux compliments. C'était mignon. Bien sûr, les humains qui n'avaient pas été corrompus par les Scientifiques l'étaient par principe, mais il appréciait de le noter de temps en temps. Ça l'aidait à se sortir de la paranoïa dans laquelle le plongeaient ses recherches.

- On peut se trouver un moment dans la semaine pour se voir.

Régulièrement... C'était dangereux, parce que ça impliquait une action constante dans son comportement que les Scientifiques pourraient remarquer. Être prévisible pouvait lui poser des problèmes et mettre Artémis en danger. Mais il ne pouvait pas juste à nouveau perdre contact avec elle. Il avait donc fait son choix.

Thémis se rapprocha d'eux pendant leur discussion, officiellement pour avoir de l'affection, mais le regard qu'elle posa sur leurs sandwichs en disait long. Il rit doucement.

- Tu lui cèdes un peu trop facilement, quand même.

Ce qui ne l'empêcha pas de prendre quelques friandises pour les tendre à la chienne. Elle sembla si ravie qu'il ne put s'empêcher de rire à nouveau. Ces deux-là s'étaient bien trouvées. Elles étaient toutes les deux enthousiastes, positives et déterminées. Quelle était l'expression, déjà ? Tel chien, tel maître ? D'un côté, c'était logique. Les humains, comme les autres, s'associaient à des êtres qui leur ressemblaient.
Comme les Inséparables, en fin de compte. Les humains et les immortels avaient quelques points communs.

Il croqua dans son sandwich sous les yeux un peu moins envieux de Thémis. Maintenant qu'elle avait eu sa dose de friandise, elle lorgnait un peu moins sur sa nourriture. Raphaël lui caressa la tête affectueusement. Dire qu'ils l'avaient trouvée blessé dans un parc comme celui-là il y a quelques années de ça... Elle était en bien meilleure forme, maintenant. Une chance que ça ait été une blessure normale et pas un coup des Scientifiques. Elle ne s'en serait pas sortie aussi facilement s'ils avaient décidé de se servir d'elle.

Mon cœur se gonfla de joie quand ce fut Raphaël qui proposa de lui-même qu'on se voit dans la semaine. J'avais volontairement exagéré avec le régulièrement. On avait chacun nos emplois du temps et je n'allais certainement pas le forcer à venir me voir ou à me recevoir. Il avait de quoi me contacter, et  il savait où j'habitais à peu près donc je n'avais qu'à lui laisser le temps de se décider à venir tout seul. Je n'avais pas perdu mon habitude à le taquiner de temps en temps.

"Avec plaisir."

Vint ensuite le petit moment de pause pour déguster nos sandwichs. J'avais pensé aussi à Thémis, gourmande comme elle était, elle aurait bavé devant nous sinon. Je vis alors Raphaël qui riait. Je m'arrêtai un instant et le regardai. Je ne l'avais jamais vraiment vu beaucoup sourire et rire depuis le collège. Et... je le trouvais mignon comme ça. Je me forçai à détourner le regard. Ca ne se faisait pas de le dévisager ainsi... Mais j'étais contente de le voir comme ça.

"Mais non, je la fais fréquemment travailler. Elle mérite toujours ses friandises. Enfin presque... Mais en même temps, comment tu veux résister à sa bouille ! Regarde la... Je te promets que je résiste mieux depuis le temps !"

Un nouvel éclat de rire s'échappa de ma bouche. J'aimais cette ambiance légère qui flottait dans l'air, entre nous. C'était comme si c'était redevenu comme avant. Un silence s'installa le temps que nous mangions notre repas. Mais il n'était pas pesant. Juste à sa place. Je m'étirai un instant, le soleil d'automne réchauffant doucement ma peau de ses rayons. Une feuille orange tomba lentement de l'arbre au-dessus de nous. Je la regardai, hypnotisée par sa chute lente et gracieuse, dépendant uniquement de la petite brise qui soufflait autour de nous. Puis, elle se posa à mes pieds. La nature était si belle quand elle n'était pas perturbée par des présences parasites.

"Tu veux faire quoi ?"

Je lui avais proposé la balade et de grignoter quelque chose en chemin, mais il avait peut-être envie de faire autre chose.

Sa crédibilité laissait à désirer. Avec la bouille de Thémis, l'attachement qui les liait et la facilité avec laquelle la chienne avait réussi à obtenir cette friandise juste en lorgnant sur leur sandwich, c'était difficile de croire qu'elle était capable de lui résister. Mais il était prêt à lui accorder le bénéfice du doute vu qu'elle avait "promis". Finalement, même après tout ce temps séparés, ils se retrouvaient facilement, comme s'ils n'avaient pas passé aussi longtemps sans se voir. Il aimait son rire autant que son calme. Ça faisait du bien de la revoir.

Il était souvent plongé dans le silence, quand il était seul dans sa chambre, à peine troublé par ses propres marmonnements quand il avait du mal à se concentrer sur ses pensées. Celui dans lequel ils mangèrent était différent. Moins empli de stress, d'anxiété et de la sensation d'urgence dont il avait du mal à se défaire. Il ne pouvait pas rester encore une vie entière dans ce plan, il voulait trouver son âme-soeur et rejoindre celui des immortels mais il avait de plus en plus cette sensation de ne pas évoluer. Cette journée de pause lui faisait du bien, ça lui permettait de penser un peu à autre chose.

- Hm ? Je sais pas.

Il n'avait plus l'habitude d'être dehors, de côtoyer des gens. Il ne l'avait pas fait depuis le lycée et même là, le terme était un peu fort. Dans les faits, il n'avait pas eu de vie sociale depuis le collège. Par extension, il n'avait du coup pas la moindre idée de ce qu'ils pouvaient faire une fois à l'extérieur, à part se promener et manger tous les deux.

- Je sors pas très souvent, donc si tu as une idée...

C'était elle qui était venue le voir et elle avait sans doute bien plus l'habitude que lui d'avoir une vie sociale, donc il préférait le soin de prendre les décisions de ce genre. Elle aurait sûrement des idées plus intéressantes que ce qu'il pourrait présenter.

Ca nous avait déjà fait ça la première fois qu'on s'était revus. Ca avait fait comme si on ne s'était jamais quitté. On discutait comme avant, on retrouvait notre complicité. C'était agréable. Il n'y avait pas de silence gênant ou quelque chose de ce genre. Je le trouvais plus détendu qu'un peu plutôt dans la journée, quand j'avais toqué à l'improviste à la porte de sa chambre.

Je voulais qu'il se change les idées aujourd'hui, qu'il pense moins à ses recherches et qu'il prenne une journée de pause. Au vu du sourire qui ornait actuellement son visage, j'imaginais que je ne m'en sortais pas si mal. C'était aussi pour ça que je lui demandai s'il voulait faire quelque chose de spécial. Tout ce que je voulais, c'était lui faire plaisir. Mais il n'avait pas l'air d'avoir une envie spécifique. Je posai un instant mon index sur mon menton, le temps de réfléchir.

"Laisse moi réfléchir..."

Il fallait pouvoir faire quelque chose soit avec Thémis, soit je devrais la déposer à la maison d'abord. Il y avait pleins de possibilités. Mais je voulais trouver quelque chose qui soit susceptible de lui plaire. Et comme il passait pas mal de temps dans sa chambre, je ne savais pas ce qu'il aimait faire à l'extérieur, à part se promener et grignoter quelque chose.

"On pourrait... faire un petit tour en bateau ? Ou alors il y a le petit zoo pas loin où on peut se balader et voir les différents animaux ?"

Ca pourrait être intéressant comme activité. Mais j'avais préféré lui en proposer deux pour être sûre qu'une des deux lui plaisent. C'était difficile de trouver une idée comme ça. En arrivant chez lui, je m'étais juste dit qu'on passerait du temps ensemble, que je trouverai le moyen de lui changer les idées. Mais je n'avais pas réfléchi à une question primordiale. Comment ?