L'amour des animaux était de famille, oui, c'était vrai, il avait oublié ce détail. Une maman éthologue et une enfant future vétérinaire. Au moins, si elle avait un animal de compagnie un jour, il serait entre de bonnes mains. Il aurait fallu plus d'humains comme elle sur cette planète.

Une fois chez le vétérinaire, il la laisserait gérer les discussions et les explications. Ce n'était pas son domaine de prédilection, il avait en plus perdu l'habitude d'être en contact avec des humains autres que ses parents. Pour l'instant, ils se contentèrent de s'installer dans la salle d'attente avec la petite chienne blessée.

- Ça va ? Tu as l'air fatiguée, d'un coup.

Est-ce qu'elle avait été touchée par quelque chose ? Elle avait déjà eu un petit coup de mou un peu plus tôt mais ça recommençait et elle avait même l'air plus fatiguée que dans le parc. Peut-être que l'attaque sur la chienne était un leurre. Il se prit à espérer qu'elle n'avait pas été atteinte par quelque chose qui lui était destiné à lui. Ils n'avaient pas la même résistance. Ce qui ne faisait que l'affaiblir pouvait facilement tuer un être humain.

- Je vais t'accompagner.

Au cas où. Les gens présents dans la salle d'attente avaient l'air normaux et désintéressés d'eux, donc il ne pouvait pas exclure la possibilité que l'un des vétérinaires travaille pour les Scientifiques. Il devait garder l'oeil sur elle.

- On devrait peut-être passer en premier vu que c'est une urgence, non ?

Il n'avait jamais mis les pieds chez un vétérinaire, il n'avait pas la moindre idée de comment fonctionnaient leurs priorités.

Lorsque j'avais trouvé cette pauvre chienne blessée, je n'avais pas hésité. Si j'avais pu, je l'aurai soigné moi-même, mais la blessure semblait plus grave qu'une simple égratignure alors le vétérinaire était le choix le plus approprié.

Mais, pour le moment, nous ne pouvions rien faire de plus qu'attendre que quelqu'un vienne s'occuper de nous. On s'installa donc sur des places libres de la salle d'attente.

"Oui, c'est juste de la fatigue. Cette journée a été riche en émotions. Je crois que j'ai tellement eu peur pour elle que le stress retombe maintenant. Mais ce n'est rien de grave, ne t'en fais pas."

Je paraissais faible et fatiguée et je détestais cela. Mais j'ai vraiment e un trop pleins d'émotions aujourd'hui. Tout se mélange dans ma tête, je peine à réfléchir correctement, j'ai du mal à gérer tout ça en sa présence alors que ça ne m'étais jamais arrivé avant. Bref, trop à gérer d'un coup pour moi. Et puis, à qui pourrais-je parler de tout ça ? Ma mère, ma sœur ? Non. Comme j'aimerai avoir une meilleure amie à qui me confier... Peut-être avec la nouvelle rentrée qui approche. Je lui souris en posant ma main sur son avant-bras.

"C'est gentil merci. J'espère que tout ira bien pour elle."

Je recommençais à la caresser distraitement. Les chats miaulaient et les chiens aboyaient tout autour de nous. Mais j'étais dans ma bulle et je ne pensais qu'à la petite chienne qui, elle, ne semblait pas se soucier de ce qu'il se passait autour d'elle. J'en profitais pour essayer de faire un peu le ménage dans ce que je ressentais. A chaque contact avec lui, je ressentais une petite chaleur au creux de mon ventre. Etais-je... amoureuse ? Mais je le connaissais depuis si longtemps... Et en même temps, j'entendais bien tout autour de moi que l'entrée au lycée s'accompagnait de changement, notamment au niveau de la perception de l'amour. Je ne pouvais pas lui parler de ça. J'aurai trop peur de ruiner notre amitié. Je verrais bien avec le temps.

"Eh bien, comme on arrive sans rendez-vous, il faut que j'aille au guichet pour expliquer à la secrétaire ce qu'il s'est passé. Je te la laisse un petit peu ? Je reviens."

Délicatement, je déposais la petite sur ces genoux avant de me diriger vers la secrétaire qui venait de finir avec son client.

"Bonjour, je m'appelle Artémis Lorist et j'ai trouvé une petite chienne blessée au parc. Il faut qu'elle soit examiné, je ne sais pas ce qu'il s'est passé...

- Je vous inscris sur la liste, nous viendrons vous chercher dès qu'un vétérinaire sera disponible."

J'acquiesçais poliment à sa demande, puis je retournais m'assoir avec Raphaël.

"Il ne nous reste plus qu'à attendre qu'ils nous appellent."

Je souris en voyant que la petite chienne s'était installée sur ses genoux et semblait paisible.

Il avait du mal à être totalement rassuré. Bien sûr, pour elle, ça ne pouvait être que de la fatigue ordinaire, mais elle n'avait pas tous les éléments pour se méfier plus que ça. Avec ce qu'il savait, Raphaël était moins serein. Cependant, il ne pouvait pas lui en parler, alors il garda son inquiétude pour lui en se contentant de hocher la tête. Il s'assurerait de la garder à l'oeil. Peut-être qu'il allait accepter son invitation plus tôt que prévu, finalement. Pour vérifier qu'elle n'avait pas été prise pour cible, qu'elle n'avait aucun symptôme qui pouvait indiquer une intervention des scientifiques. En attendant, elle pouvait se reposer en attendant que la petite chienne reçoive des soins.

Parlant d'elle, leur patiente était extrêmement calme. Les caresses d'Artemis semblaient la détendre et l'aider à oublier sa blessure. Il posa sa main sur le flanc de l'animal pour l'apaiser un peu plus ; ses doigts effleurèrent involontairement ceux de son amie mais il ne réagit pas, concentré dans ses réflexions. Il ne connaissait pas assez les nouvelles méthodes des Scientifiques, il faudrait qu'il fasse plus de recherches une fois rentré. Il y avait aussi la question de leur ordre de passage. La blessure faisait de leur situation une urgence, non ?

- D'accord, je m'en occupe.

Il prit la chienne sur ses genoux et laissa Artemis s'occuper de formalités pour indiquer la présence de l'animal et la raison de leur venue. Elle avait l'air plutôt à l'aise avec tout ça, vu d'ici. Et surtout, la secrétaire avait l'air normale, rien de louche a priori - elle semblait la connaître, si quelqu'un ici travaillait pour les Scientifiques, ce n'était probablement pas elle.

- J'espère qu'elle n'a rien de trop grave, répondit-il quand elle revint s'installer près de lui. Elle a l'air calme, en tout cas.

Il caressa doucement la tête de la chienne sans trop y penser. Elle était bien installée sur ses genoux, c'était presque un réflexe de s'en occuper.

Je voyais bien qu'il était inquiet pour moi. Je le lisais dans son regard. Ce même regard dans lequel j'avais très envie de me perdre actuellement. Mais je me forçais à détourner les yeux, ce serait gênant de rester ainsi, les yeux dans les yeux. La petite chienne était une assez bonne excuse pour me détourner les pensées de Raphaël. Mon inquiétude pour elle surpassait pour le moment ces nouveaux sentiments étranges que je devais apprendre à contrôler.

Je me reconcentrais donc sur les caresses qui semblaient lui faire beaucoup de bien. Je ne vis pas Raphaël qui s'approchait pour poser sa main sur la chienne. Son contact m'électrisa à nouveau, je retins mon souffle pour ne pas échapper une réaction involontaire. Respire Artémis, respire. Ce n'est qu'un contact. Il voulait caresser la petite chienne, pas ta main, c'est évident. Evident... Heureusement, il fallait que j'aille voir la secrétaire, ce qui me permettrait de reprendre un peu de contenance. Je lui laissais la chienne, en prenant soin d'éviter tout contact afin d'éviter les coups de chaud.

Après ma discussion avec la secrétaire, je revins m'assoir aux côtés de Raphaël. Je me sentais un peu plus calme que tout à l'heure.

"J'espère aussi, je m'inquiète beaucoup pour elle... Oui, il faut croire qu'elle se sent bien avec nous."

Pour toute réponse, la petite chienne me lécha le bout des doigts lorsque je voulus la caresser à nouveau. Je ris doucement en la regardant. Elle était vraiment adorable. Puis je reportais mon regard sur mon ami.

"Et je crois qu'elle t'a adopté."

Au bout de quelques minutes, la secrétaire vint nous voir pour nous prévenir qu'un vétérinaire allait nous recevoir. Je me levais, faisant signe à Raphaël de nous suivre. Il avait l'air à l'aise avec la petite chienne alors je le laissais la porter. Sinon, il me le dirait et je la reprendrais, ce n'était pas un problème. Nous suivîmes la secrétaire vers une des salles au fond du couloir. Elle nous fit entrer en nous précisant que le vétérinaire allait arriver. Je la remerciais avant de me tourner vers Raphaël.

"Tu peux la poser sur la petite table là, il va venir l'ausculter."

Puis, je m'approchais de la table pour rester proche d'elle et qu'elle ne tombe pas ou n'essaie pas de s'échapper. Elle tomberait de la table et se ferait encore plus mal. Je repris mes caresses pour l'apaiser. Je sentais qu'elle était à nouveau stressée dans cette nouvelle salle.

"Tout va bien ma belle. Il va te soigner et après tu iras beaucoup mieux. Je le te le promets."

Je déposais un baiser délicat sur sa tête et elle vint se coller à moi. Pauvre petite chose fragile, elle me faisait beaucoup de peine.

Leur petite patiente reposait calmement sur ses genoux en attendant que la secrétaire vienne la chercher. Le calme régnait dans la salle d'attente. Tout à ses réflexions, Raphaël avait cessé de parler après un dernier sourire au commentaire de son amie d'enfance. Adopté, hein. Oui... Les animaux et les humains avaient tendance à le faire, sans qu'il sache vraiment pourquoi. Peut-être son aura d'immortel avait-elle un effet qu'il ignorait encore. Il ne connaissait pas très bien les limites de cette nouvelle incarnation.

L'attente ne dura pas bien longtemps. Se lever sans trop secouer la nouvelle locataire de ses genoux s'avéra un peu compliqué, il n'avait pas trop l'habitude des animaux, mais elle avait l'avantage de ne pas être trop lourde ou trop encombrante et il parvint à se dépatouiller sans avoir besoin d'aide. Il la transporta ensuite facilement à la suite de la secrétaire et en compagnie d'Artémis jusqu'à la petite pièce d'auscultation, où il la déposa le plus doucement possible sur la table. Il ne savait pas trop quoi faire, à partir de là. Il n'avait jamais eu d'animal de compagnie et il était déjà, au quotidien, immunisé contre tout ce qui pouvait envoyer un humain à l'hôpital, alors les lieux médicaux en tout genre lui échappaient complètement.

Heureusement Artémis, elle, semblait savoir parfaitement comme s'y prendre. Elle calma la petite chienne alors que la nouvelle salle semblait la faire paniquer. Un vrai don, toujours aussi impressionnant.

- Où est-ce que tu as appris tout ça ?

Bien sûr, elle avait mentionné qu'elle voulait devenir vétérinaire, mais ça n'expliquait qu'en partie son talent pour apaiser les animaux. Est-ce qu'elle avait eu des animaux dans son enfance ? Il n'arrivait plus à se souvenir des détails. Certaines partie de sa vie avant qu'il ne reprenne conscience de sa condition d'immortel étaient un peu floues. Peut-être qu'elle avait juste beaucoup d'amis qui avaient des animaux de compagnie.

Le vétérinaire finit par entrer dans la pièce et Raphaël s'écarta de la table par réflexe. Il observa l'homme tandis qu'il demandait ce qui était arrivé à la pauvre bête et laissa Artémis répondre aux éventuelles questions. Il voulait s'assurer que la personne qui leur faisait face était bien un médecin normal et non une potentielle menace. De là où il était, cependant, il avait l'air normal. Les Scientifiques étaient difficiles à repérer, certes, mais l'homme lui avait à peine adressé un regard avant de se préoccuper en priorité de la chienne. Ça pouvait être une ruse pour ne pas montrer qu'il avait remarqué sa présence, mais ça avait l'air sincère. Il décida de lui laisser le bénéfice du doute.
Il se ravança un peu pour poser une main réconfortante sur l'épaule d'Artémis.

- Ça va aller. On est venus vite.

Elle s'inquiétait sûrement encore beaucoup pour la santé de l'animal, mieux valait la rassurer autant que possible.

Un silence s'installa mais c'était reposant, pour la petite comme pour nous. J'espérais vraiment que tout irait bien pour elle et je n'avais pas envie de projeter mon stress sur Raphaël. Il était déjà bien gentil de m'avoir accompagnée jusqu'ici. Lorsque la secrétaire nous appela, je vis à quel point il faisait attention au bien-être de la petite créature. Faisant attention à sa manière de la porter ou de la déposer sur la table, je trouvais ça adorable.

Le vétérinaire n'était pas encore là, j'en profitais pour calmer la petite chienne. Je me tournais vers Raphaël pour lui répondre, tout en continuant mes caresses.

"Eh bien... J'ai toujours fait ça en fait. C'est venu naturellement je dirais."

Leur parler doucement, attendre qu'ils acceptent de se faire caresser pour prendre soin d'eux. Je fais ça à l'instinct. Je n'ai pas peur des animaux, peut-être qu'ils ressentent ça également ? Le vétérinaire entra finalement et je lui racontais tout ce que je savais sur cette petite chienne que j'avais trouvé dans le parc. Raphaël avait reculé mais je ne m'en préoccupais pas. Peut-être n'aimait-il pas les vétérinaires ou le sang ? Ou peut-être qu'il voulait juste lui laisser de l'espace.

"Nous l'avons trouvé cachée sous un banc, elle était déjà blessée à ce moment-là. Je n'ai rien vu d'autres malheureusement... Nous l'avons calmée avant de l'amener pour qu'elle ne soit pas stressée pendant l'auscultation.

- Vous avez bien fait. Ne vous inquiétez, ça n'a pas l'air très grave. Je vais nettoyer la plaie et la recoudre, vous pouvez rester si vous le souhaitez, ça ne sera pas long. En revanche, elle n'a ni puce, ni tatouage. Donc elle devra aller en refuge après cela..."

Je sentis la main de Raphaël sur mon épaule et, par réflexe, je mis la mienne par dessus. Heureusement qu'il était là pour me rassurer. Je n'aimais pas voir des animaux blessés. Mais aujourd'hui, c'était différent. Je ne pouvais pas expliquer pourquoi, mais je me sentais proche de la petite chienne, je ne pouvais pas la laisser dans un refuge.

"Est-ce que... Est-ce qu'il y a possibilité que je l'adopte ? Je ne veux pas l'amener dans un refuge..."

Je refoulais mes larmes, suppliant le vétérinaire du regard. Il sourit devant mon air insistant.

"Vous avez l'air de beaucoup tenir à elle. Je verrais ce que je peux faire après. Pour l'instant, nous allons la soigner. Vous voulez bien la tenir ?"

J'acquiesçais avant de tenir la petite pendant qu'il nettoyait et endormait la zone à recoudre.

Naturel, ou inné ? Il plissa un peu les yeux. Il fallait qu'il fasse des recherches. Il savait que les Inséparables n'étaient pas les seuls immortels à arpenter ce plan, peut-être qu'il en existait certains qui avaient une affinité avec les animaux. Ce serait étonnant qu'Artémis en soit une mais après tout, ça ne coûtait rien de vérifier, ne serait-ce que pour être sûr que les Scientifiques n'allaient pas la prendre pour cible. C'était une chose d'être une humaine dans la proximité d'un immortel, c'en était une autre d'être immortel soi-même et de l'ignorer. Il était bien placé pour le savoir, sa période d'inconscience avant qu'il retrouve la mémoire aurait pu le projeter plus d'une fois entre leurs griffes. Il y en avait une qui travaillait dans leur ancien collège. Heureusement, comme Artémis entrait au lycée, elle en serait éloignée dans tous les cas, mais si elle avait du sang d'immortel, elle avait peut-être été repérée...
Bref, il devait la garder à l'oeil pour s'assurer qu'elle était en sécurité.

Le vétérinaire ne tarda pas à arriver et Raphaël se tint à l'écart pour surveiller ses gestes et ses paroles, mais l'homme semblait on ne peut plus honnête. Un gars lambda, donc, pas un ennemi potentiel. Tant mieux. Le seul danger provenait donc du résultat potentiel de l'attaque sur la chienne. Si les Scientifiques en étaient responsables, elle pouvait très bien être porteuse d'un de leurs sérums, d'une puce ou de quelque chose de bien plus grave. Ils n'avaient aucune limite. Ce fut pour cette raison que le jeune homme fronça les sourcils quand son amie évoqua la possibilité de ramener l'animal chez elle.

- Tu es sûre ?

La question était venue d'elle-même et il se mordit la lèvre. Ce n'était ni le lieu ni le moment d'évoquer ses doutes. Le vétérinaire n'avait repéré aucune puce, mais il ne cherchait que les traditionnelles qui servaient à identifier les propriétaires d'un animal, pas une quelconque invention d'espionnage. Il pouvait très bien y avoir une forme de micro ou une nano-machine d'analyse dans la morsure... Impossible de le savoir sans passer un scanner. Heureusement, il avait ce qu'il fallait chez lui, donc il pourrait vérifier si nécessaire. Mais avant ça, il fallait faire passer ses doutes pour autre chose, histoire de ne pas attirer les soupçons.

- Je veux dire... il faudrait peut-être demander à tes parents avant, non ?

Oui, c'était une raison crédible de se poser la question. La maison était à ses parents, ils avaient normalement le dernier mot sur tout ce qui s'y passait, en particulier s'il s'agissait d'y accueillir un nouvel être vivant. Un être vivant non-végétal, en tout cas, puisqu'il était à peu près sûr que les plantes n'avaient pas besoin de passer ce genre de test.

Si elle décidait vraiment d'adopter la petite chienne, il faudrait qu'il trouve un moyen de déguiser son scanner. Dans une brosse pour animaux, peut-être ? Qui lui transmettrait un message en direct si elle repérait quelque chose de suspect... Oui, c'était une idée viable.

Raphaël semblait sceptique de ma réponse, ou je ne comprenais pas trop son expression. A vrai dire, je n'avais pas moi-même de réponse à sa question. J'ai toujours été attirée par les animaux, le besoin de les aider, les câliner. Ils ne semblaient pas avoir peur de moi, je n'avais pas peur d'eux. Il y avait comme une sorte d'alchimie entre nous. Bien sûr, ça ne marchait pas avec tous les animaux. Mais il faut croire qu'avec cette petite chienne, c'était le cas.

Je fus étonnée de l'intervention de Raphaël lorsque j'évoquais la possibilité d'adopter la petite chienne. Pourquoi me demandait-il cela ? Avait-il peur que je n'arrive pas à m'en occuper ? Ou que ce soit dangereux ? Je ne comprenais pas. Je me tournais donc vers lui, l'interrogeant du regard. Mais sa question était justifiée, je n'avais pas pensé à ce détail.

"Oh oui, tu as raison... Je ne peux pas débarquer comme ça avec elle sans leur accord...

- Ne vous inquiétez pas, je la garderai de toute façon en observation pour être sûre que tout va bien, et faire des tests complémentaires. Vous aurez tout le temps d'en parler à vos parents et de me donner votre réponse ensuite."

Je souris au vétérinaire. Il avait vraiment réponse à tout. Un regain d'espoir me parcourut alors que j'imaginais déjà ce que j'allais dire à mes parents pour les convaincre de me laisser l'adopter. Pourquoi je ne pourrais pas avoir de chien ? Certes, c'était beaucoup d'attention et d'entretien, mais je me sentais parfaitement capable de m'en occuper.

Je continuais de caresser la petite chienne alors que le vétérinaire terminait. Il nous invita ensuite à repasser le lendemain dans l'après-midi pour discuter de ma décision concernant la chienne. Nous nous dirigeâmes donc vers la sortie, après une dernière caresse à l'animal. Son regard me fendit le cœur mais je lui promis de revenir très bientôt. Une fois dehors, je respirais un grand coup.

"Je te remercie encore de m'avoir accompagnée et je suis vraiment contente que nous ayons pu parler aujourd'hui. Ca me fait plaisir de t'avoir retrouvé."

Je lui souris. Il m'avait vraiment manqué.

Sa diversion avait fonctionné. Bien. Si Artémis n'avait rien vu de bizarre dans son interrogation, il y avait de grandes chances qu'un éventuel espion des Scientifiques y croit, lui aussi. Tout allait bien, il ne s'était pas trop mis en avant et il n'avait pas pris de risques. Il pourrait continuer ses recherches en rentrant sans s'inquiéter d'être suivi, ou sans avoir peur qu'il arrive quelque chose à son amie d'enfance pendant qu'ils étaient séparés. C'était rassurant, d'autant plus qu'il devait aussi s'assurer qu'elle n'était pas elle aussi une immortelle. Si elle l'était... il faudrait encore plus tenir les Scientifiques à distance.

Le vétérinaire s'empressa de rassurer la jeune fille quant au sort de la petite chienne. Visiblement, elle aurait le temps de demander l'accord de ses parents avant de potentiellement l'adopter. Il se mit à réfléchir. S'il cachait le radar dans une brosse, il pourrait passer la voir dès que possible pour vérifier l'absence de micro ou d'autres nano-machines quelque part dans le poil de l'animal ou pire, quelque part dans son corps. En partant d'une blessure comme celle-ci, elles pouvaient se répandre partout.

La petite chienne, une fois stabilisée, fut gardée en observation. Jusqu'au lendemain, donc. Peut-être qu'il pouvait simplement accompagner Artémis quand elle viendrait la récupérer et vérifier tout de suite, avant même qu'elle la ramène chez elle. Ça éviterait d'attirer l'attention et de guider les Scientifiques trop près d'eux. Oui, c'était une idée qui se tenait. Il fallait donc qu'il achète une brosse avant le moment de venir la récupérer et qu'il trouve une raison de s'en servir avant qu'elle atteigne leur quartier.

- Tu veux que je vienne avec toi demain ?

Lui demander comme ça était moins suspect que de s'inviter de lui-même, mais il espérait qu'elle accepterait. Si elle avait vraiment été ciblée par les Scientifiques, la chienne pouvait représenter un risque. Il devait vérifier son état avant qu'elle ne soit trop impliquée, puis trouver une solution le cas échéant pour la sauver de cette influence sans mettre son secret en danger. Opération délicate.

- De rien, c'est normal. On l'a découverte ensemble, après tout.

Pas exactement, mais c'était tout comme. Et puis il appréciait de reprendre contact avec elle, même s'il ne pourrait pas la côtoyer trop souvent. Pour sa propre sécurité, mieux valait qu'elle ne passe pas trop de temps dans son cercle direct. Sa position géographique rendait déjà sa situation compromettante.

Heureusement que Raphaël m'a rappelé qu'il me fallait l'accord de mes parents avant de prendre cette décision. J'aurai complètement oublié. En même temps, si je m'écoutais, je sauverai tous les animaux de la Terre. Mais ce n'est pas possible. J'espère quand même qu'ils accepteront que je sauve cette petite chienne adorable. Elle et moi, je nous vois pas être séparées. Je suis déjà très attachée à elle.

J'observais chaque geste du vétérinaire, essayant en quelque sorte de les mémoriser si je retombais un jour sur un animal blessé. Bien sûr, ça ne s'apprend pas comme ça. Mais si je peux au moins donner les premiers soins. Il fut donc décidé que l'on vienne le lendemain pour que je puisse donner ma réponse. Une fois sortis, Raphaël me proposa de venir avec moi. Peu importait la décision de mes parents, sa présence serait importante pour moi. S'ils acceptaient, je serais heureuse de partager ce moment avec lui, et s'ils refusaient, je savais qu'il serait là pour me soutenir.

"Avec plaisir, je comptais justement te proposer."

Le chemin du retour passa rapidement et nous nous arrêtâmes devant chez moi. Je regardais un instant ma maison. Il était temps de passer à l'étape fatidique de la demande aux parents. Je me tournais vers Raphaël pour lui souhaitais une bonne soirée. J'en profitais pour déposer un léger baiser sur sa joue.

"Encore merci pour aujourd'hui. Je te tiens au courant de la décision de mes parents. A demain !"

Je rentrais vite, essayant de dissimuler le rouge de mes joues. Je n'ai pas ce genre de contact avec les garçons d'habitude. Alors que ce soit moi qui ai fait ça, c'est un pas de géant. Je rentrais donc dans le salon, mes parents étaient là. Nous discutâmes longuement de tous les avantages et inconvénients, pesant le pour et le contre de cette décision. Ils m'aideraient un peu financièrement mais leur décision était claire, c'était ma responsabilité. Je leur fis un énorme câlin, j'étais contente qu'ils acceptent. Je leur demandais donc s'ils pouvaient envoyer un message à notre voisine, pour prévenir Raphaël. Il n'avait pas de téléphone, c'était compliqué pour moi de prendre contact avec lui. Passer par le biais de ses parents était le seul moyen que j'avais trouvé pour l'instant. Il n'en voulait pas, mais je ne savais pas pourquoi.

Le lendemain arriva vite et je m'empressais de me préparer pour aller toquer chez Raphaël pour voir s'il était prêt. Sa maman me fit patienter le temps d'aller le chercher. J'avais du mal à contenir mon excitation. Mais il fallait que j'aille acheter un collier avant d'aller chez le vétérinaire. Je verrais ensuite sur place avec lui pour l'alimentation.

Artémis accepta qu'il l'accompagne pour revenir chez le vétérinaire le lendemain. Bien. Ça lui laissait le temps de modifier une brosse pour servir de scanner et de trouver un moyen de l'utiliser discrètement. Ils rentrèrent ensemble, elle l'embrassa rapidement sur la joue avant de lui dire au revoir, et ce fut seulement là que Raphaël se rappela la véritable raison pour laquelle il était sorti. Principalement parce que sa mère, elle, ne l'avait pas oublié, et qu'elle s'énerva rapidement en le voyant revenir les mains vide. Oui, récupérer de quoi préparer le dîner à la supérette. Ça lui donnait une excuse pour ressortir rapidement et chercher le matériel pour sa brosse, il ferait le tri plus tard. Il s'excusa donc et fila en sens inverse pour les courses de sa mère, ainsi qu'un tas de bidules supplémentaires pour son scanner à nano-machines. Au moins, l'endroit n'était pas encore fermé, il n'aurait pas à chercher ailleurs.

En rentrant, cette fois avec ce qu'elle lui avait demandé, il appris de sa mère qu'Artémis avait appelé pour confirmer que ses parents étaient d'accord. Elle semblait perplexe, et vraisemblablement décidée à poser des questions, mais il ne lui en laissa pas le temps et retourna rapidement s'isoler dans sa chambre, pour retirer les couches de vêtements qui ne lui servaient qu'une fois dehors. Revenu en short et t-shirt, il se plongea dans ses papiers, ses calculs et ses bidouillage, pour tenter de créer quelque chose de fonctionnel.

Il fut réveillé par sa mère et ouvrit péniblement les yeux, effondré au milieu des feuilles griffonnées et des gadgets. Penchée près de lui, elle le secouait doucement, tout en jetant un oeil autour d'elle.

- Qu'est-ce que c'est que tout ça ?
- Hein ? C'est... Euh... Je travaille sur un projet. C'est juste... des recherches...

Il était totalement déconnecté. Le réveil était difficile et ses lentilles, qu'il n'avait pas eu l'occasion d'enlever, lui brûlaient les yeux. Sans compter les courbatures, punition pour s'être endormi à même le sol. Il grimaça en s'étirant.

- Hm. Tu as besoin d'une brosse à animaux pour ça ?
- C'est... compliqué.
- D'accord, d'accord. Artémis est là. Elle dit que tu as promis de l'accompagner au vétérinaire aujourd'hui ?
- Ah ! Oui !

Il n'avait pas du tout fini la brosse. Ses calculs l'avaient tenu réveillé jusque très tard et il s'était endormi avant de pouvoir les mettre en pratique. Il rassembla ses feuilles et son matériel, paniqué et encore trop frappé par son réveil soudain pour mettre de l'ordre dans ses idées.

- Dis-lui que j'arrive.
- Je ne pense pas qu'elle attendra que tu aies fini ton "projet". Va prendre une douche rapide, je te prépare un café.

Alors qu'elle s'apprêtait à sortir, elle se retourna, un froncement de sourcil inquiet sur les traits.

- Je n'aime pas te trouver endormi par terre...
- J'étais pris dans mes recherches. T'inquiète pas.
- ...

Elle soupira sans trouver quoi dire et finit par refermer la porte derrière elle. Mais elle avait raison : il fallait qu'il prenne une douche. Ses réserves d'eau avaient dû souffrir de la chaleur qui régnait dans sa chambre. Sauf qu'il devait aussi finir sa brosse... ou peut-être qu'il pourrait le faire plus tard mais... Mais c'était risquer que les nano-machines s'installent chez Artémis avant qu'il les repère, et rendre toute l'opération inutile. Non, il devait le savoir avant qu'elle ramène la chienne chez elle !

Soucieux de ses besoins d'immortel, cependant, il se précipita quand même sous la douche et continua de réfléchir. Peut-être qu'il pouvait se contenter de mettre l'appareil dans sa main plutôt que de le fixer à sa brosse. Ça serait moins élaboré, mais ça marcherait aussi, et ça lui épargnait plusieurs étapes. Il entendait sa mère parler au rez-de-chaussée. Elle avait dû amener Artémis dans la cuisine et lui proposer un truc à boire en attendant qu'il soit prêt. Il n'avait pas beaucoup de temps. Si elle décidait d'y aller toute seule, elle était en danger. Retournant le plus vite possible dans sa chambre, il enfila ses vêtements d'extérieur, couvrant chaque millimètre de sa peau pour la protéger du soleil et garder ainsi l'eau de sa courte douche. Puis il prit le temps d'assembler quelques bouts de plastiques qu'il glissa dans la poche de son sweat avant de descendre. Sa mère soupira.

- Tu n'as pas besoin d'autant de couches de vêtements, il fait une chaleur infernale dehors.
- Je me sens mieux comme ça.

Il salua Artémis d'un petit sourire avant de récupérer la tasse de café que lui tendait sa mère et d'y vider une dosette de sucre. Ça devrait lui apporter ce dont il avait besoin pour tenir une partie de la journée. Alors qu'il buvait tranquillement pour ne pas risquer de se brûler, sa mère posa un appareil sur la table. Il fronça les sourcils.

- Prends-le. J'aimerais bien que tu aies un moyen de m'appeler s'il y a un problème.
- Artémis a un téléphone.
- Et ça t'empêche d'en avoir un aussi ?

Il haussa les épaules et se plongea dans sa tasse. Il n'avait pas envie d'avoir cette discussion. Avoir un gps dans sa poche était le meilleur moyen d'attirer trop l'attention des Scientifiques et de se rendre facile à repérer. Avec son ordinateur, il pouvait passer par des VPN pour chercher les informations dont il avait besoin. Avec un téléphone, il se rendait repérable à tout moment.

- Pour l'instant, j'en ai pas besoin. On y va ?

Mieux valait remettre la discussion à plus tard, quand ils seraient seuls. Sa mère grimaça en le voyant descendre son café d'une traite, mais elle n'insista pas. Elle le connaissait assez pour savoir qu'il faudrait un long moment pour espérer le faire changer d'avis. Il verrait plus tard comment dévier le sujet et ne jamais avoir à prendre de téléphone. Pour l'instant, il avait une promesse à tenir.

J'étais restée quelques instants derrière la porte, réalisant tout ce que j'avais fait durant ma journée. J'étais juste partie faire un jogging à la base. J'avais fini chez un vétérinaire. Et voilà maintenant que j'essayais de me rapprocher de mon voisin. J'étais tout de même contente d'être tombée sur lui aujourd'hui. Mains sur me joues encore rouges, je m'approchais du salon pour discuter avec mes parents. Discussion qui finit bien puisque mes parents acceptèrent que j'adopte cette petite chienne que nous avions trouvée.

J'eus beaucoup de mal à dormir cette nuit là. J'étais beaucoup trop excitée à l'idée de retrouver mon chienne le lendemain. J'espérais qu'elle allait bien, et qu'elle n'avait pas trop peur, toute seule dans une cage. Dans ma tête, je faisais une liste de tout ce dont j'avais besoin pour m'occuper d'elle. J'allais devoir faire pas mal de courses les prochains jours. Mes économies allaient y passer, mais je m'en fichais. J'étais prête à tout pour qu'elle se sente bien à mes côtés. D'ailleurs, maintenant que j'allais l'adopter, il fallait que je lui trouve un nom. Cela m'a pris une bonne partie de la nuit, à faire quelques recherches sur internet.

Je sautillais sur ma chaise pendant le petit-déjeuner. Mais en voyant l'heure sur l'horloge, je ne pouvais décemment pas aller sonner chez Raphaël à 7h30. Mes parents souriaient en me voyant bouger ainsi.

"Tu es impatiente d'aller chez le vétérinaire ? Ou... de revoir Raphaël ?"

Bizarrement, j'arrêtais de sautiller en les regardant. Je sentis le rouge qui montait à mes joues et je baissais la tête nerveuse.

"Qu'est-ce que vous racontez encore ? J'ai juste hâte d'aller chercher Thémis.
- Thémis ? C'est le nom que tu vas donner à ta chienne ?"

J'acquiesçais avant de leur expliquer pourquoi j'avais choisi ce nom, même s'ils étaient déjà au courant de toutes les informations concernant cette déesse vu qu'ils adorent la mythologie. J'ai choisi ce prénom car Thémis est la déesse qui représente la justice et j'espérais que celui qui lui avait fait ça subira le courroux de la justice... divine en quelque sorte. Un petit coup de pouce du destin serait le bienvenu. Au moins, j'avais réussi à dévier la conversation pour qu'ils ne m'interrogent plus sur Raphaël.

Je levais encore une fois le nez vers l'horloge. 8h. C'était raisonnable. Raphaël, dans mes souvenirs, n'est pas du genre à faire la grasse matinée. J'allais donc sonner chez lui et sa mère me fit entrer. Le temps qu'elle aille le chercher, je m'installais dans la cuisine. Cela faisait bien longtemps que je n'étais pas venue ici. Ca me fait un peu bizarre. Ils ont toujours été gentils avec moi. Mais depuis que Raphaël et moi, on s'est éloigné, je n'avais plus vraiment de raison de venir ici.

Il finit par descendre et, par réflexe, je me levais pour lui dire bonjour. Finalement, je me rassis, un peu confuse. Il faut vraiment que j'apprenne à réfléchir avant d'agir. Je répondis à son sourire par un sourire et un signe de la main. J'étais gênée devant leur conversation. J'avais entendu vaguement qu'il s'était endormi sur le sol de sa chambre et maintenant, elle voulait qu'il ait un téléphone mais il prétexta que le mien suffisait. Pour le coup, s'il en avait un, on pourrait discuter plus facilement. Mais il semblait être contre l'idée d'avoir un téléphone, c'était étrange.

Il finit rapidement sa tasse, comme s'il voulait que l'on parte plus vite. Je saluais sa mère d'un signe avant de me faire emporter par la précipitation de Raphaël qui semblait vouloir fuir sa maison. Je trottinais pour arriver à sa hauteur.

"On n'est pas pressé ne t'inquiète pas. Il faut juste que je passe à l'animalerie avant, pour acheter un collier."

Nous marchâmes pendant quelques minutes, silencieusement. Une question me brûlait les lèvres. Je suis beaucoup trop curieuse. Je le regarde quelques instants, il est légèrement caché sous sa capuche. Il a changé, j'aimerai tellement comprendre pourquoi. J'aimerai qu'il se confie à moi. Mais je serais patiente. S'il veut m'en parler, je suis certaine qu'il sait que je l'écouterai.

"Hey... Pourquoi tu ne veux pas de téléphone au fait ? Ce serait pratique pour qu'on puisse discuter."

Même si, en soit, comme on habite juste à côté, je pourrais très bien juste venir le voir. Mais les conversations par sms sont plus rapides, ce serait bizarre de venir tout le temps chez lui.

L'animalerie était pas loin et, heureusement, elle était déjà ouverte. Je rentrais et me dirigeais dans le rayon des colliers. Je pris un petit collier avec une laisse et un collier avec anneaux, pour quand on travaillera ensemble. Je me dirigeais ensuite vers le comptoir pour demander à faire graver son prénom sur une médaille.

"Vous pouvez faire graver le prénom Thémis s'il-vous-plait ?"

Une fois fait, il ne nous restera plus qu'à nous diriger chez le vétérinaire. J'avais tellement hâte de la revoir.

Sa relation avec ses parents était compliquée. Il ne pouvait pas tous leur dire, pas leur expliquer quels risques ils couraient simplement parce qu'il avait choisi, dans sa vie précédente, de se réincarner dans leur famille. C'était injuste de leur imposer ça. C'était aussi pour ça qu'il continuait de jouer le jeu de l'humain lambda, en mangeant la nourriture préparée par sa mère même s'il n'en avait pas besoin pour vivre, pour ça qu'il avait terminé le lycée malgré le risque de rester aussi longtemps au même endroit, en public. Mais expliquer pourquoi il ne voulait pas de téléphone était un autre registre. Il ne voulait pas qu'ils s'inquiètent en comprenant qu'ils pouvaient être pris pour cible par les Scientifiques à tout moment. Il n'avait pas envie d'avoir cette discussion. En tant qu'immortel, il ne craignait pas la chaleur, surtout sous forme liquide ; il s'empressa donc de finir sa tasse pour esquiver le sujet et partir le plus rapidement possible de la cuisine.

- D'accord.

Dommage qu'il ne puisse pas utiliser le collier pour son détecteur. Il fallait qu'il le passe sur tout le corps de la chienne, un collier n'aurait pu repérer d'éventuelles nano-machines que dans le cou ou une partie de la tête. Ce n'était pas suffisant. Ça lui aurait quand même facilité la tâche. Tant pis, il trouverait un moyen de l'utiliser discrètement avant qu'ils soient rentrés. Mieux valait, pour Artémis, qu'elle n'ait pas trop d'infos tant qu'il n'aurait pas fait les recherches nécessaires pour savoir si elle risquait ou non d'être prise pour cible, elle aussi.

- Hm ? Ah...

Pourquoi il ne voulait pas de téléphone ? Encore une fois, avec elle aussi, la question était difficile. Il ne voulait pas rentrer dans les détails, ça aurait été risquer de la mettre en ligne de mire. Si les Scientifiques mettaient la main sur elle, ils pourraient lui faire du mal ou pire, l'utiliser. Soit en effaçant complètement sa mémoire pour pouvoir la manipuler, soit en faisant pression sur sa famille pour la forcer à faire un choix où le simple garçon d'à côté ne sortirait pas gagnant. Dans tous les cas, c'était hors de question. Il ne pouvait pas lui faire ça - ni à elle, ni à sa famille. Elle devait rester hors de cette histoire et vivre sa vie comme une humaine normale.

- Je n'aime pas trop les téléphones. Mais j'ai un ordi, si tu veux.

Avec quelques cryptages et quelques VPN, il pouvait sécuriser à peu près ses conversations et s'assurer qu'on ne l'espionnait pas. Il n'était pas assez naïf pour croire que toute cette technologie n'était pas utilisée d'une manière ou d'une autre par les Scientifiques. Pour être sûr de rester indétectable, il en utilisait plusieurs de sources totalement différentes. Aussi puissants soient-ils, il ne pouvaient pas avoir la mainmise sur tout. Sinon ils pouvaient aussi communiquer par talkie-walkie, il connaissait les fréquences qui n'étaient utilisées par personne. Et comme leurs chambres étaient juste en face si elle n'avait pas bougé depuis...
Non, ça impliquait d'ouvrir les fenêtres. Trop dangereux.

Ils finirent par atteindre l'animalerie et il la suivit tranquillement entre les rayons, profitant de ne pas être en plein soleil pour retirer sa capuche. À l'intérieur, il pouvait respirer un peu, le soleil n'était pas en contact direct avec sa peau pour assécher ses réserves d'eau. Avec la douche rapide qu'il avait prise, il n'en avait pas beaucoup, il préférait être sûr de tenir jusqu'à ce qu'il puisse en reprendre une. Artémis trouva rapidement son bonheur et il sourit en entendant le nom qu'elle avait choisi. Décidément, le thème resterait présent dans toute la famille. Lui aussi aimait bien la mythologie, cette époque où les immortels n'étaient pas encore vus comme des cibles à étudier et décortiquer, et où on se contentait de les observer et de tenter de les comprendre. Ils n'avaient pas besoin de se fondre dans la masse, pas besoin de se cacher.
Une autre époque. Il était un peu triste de ne pas y avoir vécu.

Dès qu'ils durent remettre le nez dehors, Raphaël repassa sa capuche sur sa tête pour se tenir à l'abri du soleil. Il ne leur restait plus qu'à retourner chez le vétérinaire ; et lui, à vérifier que personne n'avait joué de tour à la pauvre bête. Il vérifia la présence de son scanner dans la poche de sa veste. Ça aurait été compromettant de l'oublier, il aurait eu bien du mal à justifier la nécessité d'un aller-retour vu que sa mère avait entièrement neutralisé l'excuse d'un oubli de téléphone - pourtant bien pratique. Heureusement, son petit bidouillage nocturne était bien là. Malheureusement pas dans une brosse, mais il se débrouillerait.

Après avoir passé tout ce temps loin de lui, je me rendais bien compte que les choses avaient changé. C'est d'ailleurs pour ça malheureusement qu'on s'était éloigné. Enfin, qu'il s'était éloigné de moi, et que j'avais fini par lâcher l'affaire aussi. J'avais l'impression que ses relations avec ses parents s'étaient dégradées. Mais en même temps, n'est-ce pas ce qu'il se passe quand on grandit ? Je n'avais pas cette impression avec les miens, peut-être que c'était différent pour chaque famille. Mais je ne pouvais pas m'empêcher de me dire qu'il y avait quelque chose d'autre. Quelque chose qui m'échappait, que je ne pouvais pas comprendre. Du moins pas pour l'instant.

Raphaël n'était pas du genre bavard. Mais là, c'était encore moins que d'habitude. J'avais en général droit à une phrase, là c'était à peine un ou deux mots. Est-ce que j'avais dit ou fait quelque chose de mal ? Pourtant, quand il me regardait, il n'avait pas l'air énervé. Juste absent, plus que d'habitude encore une fois.

"Très bien, ça me va. Ce sera déjà plus simple pour discuter."

Je souris. J'étais contente que l'on ait trouvé un moyen de parler sans forcément se voir. Non pas que ça me dérangerait de le voir plus, au contraire. Mais ce serait peut-être gênant au début. On vient à peine de se retrouver. Et je ne suis pas au clair avec ce que je ressens pour lui. Je ne sais même pas si c'est réciproque.

"Est-ce que tout va bien ?"

Je ne pus m'empêcher de m'inquiéter pour mon ami. Il n'agissait pas comme la veille. J'espérais qu'il ne lui était rien arrivé de grave.

Lorsque nous entrâmes dans l'animalerie, il enleva sa capuche. C'était la première fois que je le voyais sans capuche, depuis nos retrouvailles. Je restais quelques secondes à le regarder, remarquant tous les petits détails que je ne pouvais voir lorsqu'il était caché en dessous. Il était mignon... Puis, je me rendis compte que je restais sans bouger à le regardais. Je m'empressais de reprendre mon chemin en direction du rayon des colliers. Bon sang, Arté, la discrétion, c'est pas ton fort. J'espérais que cela passerait pour de la simple réflexion.

De retour dehors, il remit sa capuche, comme s'il se protégeait du soleil. Il ne m'a jamais dit qu'il craignait le soleil mais ça pourrait expliquer certaines choses. Nous nous mîmes en route pour le vétérinaire, qui n'était plus très loin.

"Dis moi, tout ce que tu portes sur toi, c'est pour quoi ? Je suis désolée si mes questions sont indiscrètes, tu n'es pas obligé de répondre si tu ne veux pas... C'est juste que j'ai envie de rattraper le temps perdu."

J'aimerai le comprendre à nouveau. Etre proche de lui comme avant. Que l'on partage des choses comme quand nous étions plus jeunes. On se parle à nouveau mais j'ai l'impression de le redécouvrir, que c'est une autre personne.

Une fois devant chez le vétérinaire, je m'empressais de rentrer et d'aller voir la secrétaire. Il n'y avait pas beaucoup de monde à cette heure-ci. Le vétérinaire de la veille nous fit entrer dans une salle et alla chercher la petite chienne. Lorsqu'il la ramena, elle s'agita dans ses bras en nous voyant. Mais au vu du bandage de sa patte, elle devait faire attention, elle n'était pas guérie. Il la mit dans mes bras et elle vint lécher mon nez pour me faire un petit bisou. Je ris alors qu'elle me chatouillait.

"Bonjour ma belle. Tu as l'air d'aller beaucoup mieux. Devine quoi ? Tu rentres avec moi."

Comme si elle avait compris, elle agita sa queue, encore plus excitée. Je lui accrochais son collier avec la médaille qui portait son nom. Le vétérinaire, ayant compris que je l'adoptais, nous laissa seuls le temps d'aller chercher des papiers à me faire signer.

"Je pourrais te la confier lorsque je devrais remplir les papiers ?"

Je souriais encore plus. J'étais si heureuse d'avoir rencontré cette petite chienne. Ma petite Thémis.

À noter, donc, de prendre un moyen de la contacter par ordinateur. C'était plutôt une bonne idée, il pourrait se tenir au courant de ce qui lui arrivait, si elle était en danger ou autre. Et puis elle était une des rares personnes de son ancienne vie dont il était un peu triste de s'être séparé. Tant qu'il ne la mettait pas en danger, il pouvait bien se permettre de discuter avec elle. Son ordinateur était crypté après tout, ils ne risquaient rien. C'était moins dangereux que de la voir trop régulièrement en personne, en tout cas.

- Hm ? Oui, ça va, pourquoi ?

Question idiote, il se doutait très bien du pourquoi. Il avait beaucoup changé depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus, elle ne devait plus le reconnaître. Il ne pouvait malheureusement pas élaborer sur le sujet, alors il se contenta de rester vague. Au pire, il ferait passer ça sur le compte de la fatigue, c'était mieux que de la mettre en ligne de mire de ses ennemis.

Leur petit tour du magasin fut rapide, et il n'enleva pas sa capuche très longtemps. Dommage. Mine de rien, il aimait bien pouvoir être à visage découvert et garder son champ de vision habituel, surtout que ses lunettes le limitaient déjà pas mal vu qu'il ne pouvait pas juste tourner les yeux pour regarder autour de lui au risque de voir à travers les murs et les gens. Il n'y eut aucun incident notable, à part un moment où elle resta immobile à le regarder, mais il mit ça sur le compte de la fatigue - ou peut-être qu'elle réfléchissait juste à quel collier acheter, en gardant le regard dans le vide, dans sa direction, sans véritablement le fixer. En tout cas, elle n'ajouta rien à ce moment-là.

Elle lui posa par contre des questions une fois dehors et il se mordilla la pointe de la langue. Que pouvait-il lui répondre ? Pas la vérité, donner trop de détails était dangereux. Mais justifier juste par "c'est mon nouveau style", ne serait pas suffisant. Pas satisfaisant, surtout en considérant les lentilles, le vernis à ongles et tous les autres limiteurs ou catalyseurs qu'il avait sur lui. Les lunettes étaient la seule chose explicable, vu qu'il les avait déjà avant et qu'il les avait juste modifiées pour contenir son pouvoir.

- C'est euh... Juste des trucs que j'aime bien. Je sais pas trop,. Tu trouves que ça ne me va pas ?

Changer cette histoire en considérations esthétiques restait le meilleur plan qui lui était venu à l'esprit. Franchement, pas terrible. Il allait falloir qu'il se trouve une vraie raison crédible pour ne pas se retrouver démuni si un jour il devait faire face à un Scientifique. Il espérait juste que sa question détournerait assez le sujet pour qu'elle ne soit pas trop curieuse. Au fond, il avait aussi un peu peur qu'elle ne le croie pas. Mais il n'arrivait pas à savoir ce qui serait pire, entre le fait qu'elle comprenne ou non. Si elle comprenait, elle se mettait en danger. Si elle le prenait pour un fou, il le vivrait mal.

- Tu as changé de coiffure, non ? Ça te va bien.

Mieux valait ne pas trop parler de lui, surtout en public. Il savait déjà qu'il attirait l'attention avec son style atypique, mais c'était ça ou risquer de tomber dans les pommes à cause de la déshydratation. Et Inséparable ou pas, dans les faits, il pouvait mourir, il se réincarnerait dans une nouvelle vie. Il n'en avait pas franchement envie, surtout juste à cause du soleil.

Ils finirent par atteindre le vétérinaire où Artémis pouvait récupérer son nouvel animal. La chienne la reconnut aussitôt, visiblement très contente de la voir, et Raphaël ne put s'empêcher d'afficher un petit sourire attendri. La vie des humains était si simple... il regrettait, parfois, de ne pas juste pouvoir vivre ça. La perspective du plan des immortels était cependant trop tentante pour qu'il se contente d'une vie dans ce plan, sans compter qu'il mettait son âme-soeur en danger. Si elle tombait entre les mains d'un Antagoniste avant qu'il l'a trouve...

- Oui, t'inquiète pas.

Il caressa doucement la tête de la petite chienne le temps que le vétérinaire revienne avec les papiers. Dès qu'elle se détourna pour signer, il sortit discrètement ses scanner de sa poche et l'accrocha dans la bague autour de son majeur avant de caresser l'animal, tout content de recevoir de l'attention. Il ne reçut aucun signal de danger. Tout allait bien, alors, elle n'avait pas été attaquée par les Scientifiques, tout ça était une fausse alerte. Tant mieux. Ça voulait dire qu'ils étaient encore loin de l'avoir retrouvé. Il rangea rapidement son gadget, gardant la main dans sa poche pour que son geste ne soit pas trop suspect. Il ne faisait rien de mal, mais mieux valait éviter d'attirer trop l'attention là-dessus. La chienne lécha son autre main, comme pour réclamer des caresses, et il sourit avant de lui gratouiller les oreilles.

- C'est pas à moi que tu dois réclamer des câlins, je te signale.

Il ne manquerait plus qu'il monopolise son attention au lieu de la personne vraiment venue pour l'adopter. Heureusement, ça n'avait pas l'air d'être le cas. Pas de jalousie à l'horizon, donc.