Ça faisait du bien, mine de rien, de se permettre d'être un peu plus naturelle. Ou, en tout cas, plus agréable. Elle pouvait lui parler sans se sentir obligée d'être hautaine ou prétentieuse. Étant donné que le but de cette journée était de chercher un colocataire potentiel, c'était quand même un grand plus. Elle se demanda un instant si la conversation aurait été aussi complice sans l'incident qui avait conduit à leur rencontre prématurée, mais la question ne resta pas longtemps dans son esprit. Elle préférait éviter de se retrouver dans une réflexion ou son comportement de pseudo-peste lui rendait service autrement que pour éviter les vraies pestes.

- Je pense qu'elles s'en remettraient. Ça serait dommage de mettre en péril une personne allergique.

Pour sa part, si elle avait un jour été allergique, elle avait fini par développer une tolérance proche de la lassitude, mais elle s'en porterait mieux si elle croisait moins souvent ses merveilleuses amies. Surtout chez elle. C'était un des seuls endroits où elle pouvait décompresser et se mettre à l'écart des pressions extérieures, alors quand les pressions en questions squattaient son salon, ça devenait difficile à vivre.

Elle continua de lui détailler un peu les pièces et nota un subtil changement d'expression quand elle mentionna le fait que sa colocataire était partie subitement en embarquant les meubles. Changement d'expression qui s'expliqua bien vite. Elle ressentit un petit picotement de peine, purement empathique, quand il raconta un fragment son histoire.

- Elle est partie… sans prévenir ?

Elle trouvait ça aberrant, d'autant plus que dans le cas de sa relation à elle, les discussions avaient pris une longue période avant qu'elles décident, ensemble, de tenter une relation à distance dans deux pays différents. Puis elle réalisa, avec un train de retard, que c'était quand même quelque chose de très personnel et que le fait de l'avoir mentionné pour parler de ses meubles ne voulait pas forcément dire qu'il souhaitait s'épancher sur le sujet.

- Pardon, c'est vraiment personnel, je voulais pas… enfin je veux pas être indiscrète.

Donc, déjà, revenir au sujet de base, à savoir l'appartement. Parce qu'il s'était peut-être avancé en parlant de ses meubles mais en attendant, elle était aussi un peu partie du principe que comme les choses se passaient bien, elle n'avait plus besoin de chercher, mais il avait raison. Il valait mieux commencer par le commencement. Donc, question cruciale.
C'était quoi, le commencement ?

- Je sais pas trop par où commencer euh… Je dois avoir le loyer quelque part…

Elle le payait tous les mois automatiquement et elle avait peut-être un peu oublié de vérifier si les prix avaient changé. Et surtout comment le couper en deux, vu que c'était supposément aussi l'avantage d'une colocation à l'origine. Elle finit par trouver une copie avec le montant de base. Parce que bon, mine de rien, si c'était au-dessus de ses moyens, toute la compatibilité du monde ne pourrait rien y changer.

- Et donc, à part ton allergie malencontreuses aux pestes, tu as quoi comme potentiels éléments qui pourraient jouer en ta faveur… enfin, je veux dire, "contre toi", bien entendu.

Elle retrouva son petit sourire. Elle s'était un peu embrouillée avec cette histoire de questions indiscrètes mais ce n'était pas bien difficile de revenir sur les rails.

La discussion allait bon train, dispensée du stress et des hésitations inhérentes à un premier rendez-vous de ce genre. Nathan restait attentif, observant les fameux « petits détails » à éviter lorsqu’on cherchait un appartement fiable. Un domaine dans lequel il était loin d’être un expert. Mais une réflexion s’imposa à lui en repensant à ce que lui avait dit Zoé. Une évidence même : si trois nanas snobs et exigeantes avaient estimé ce lieu digne d’être leur QG, il n’y avait probablement pas beaucoup de vices cachés dans ce logement. Sinon, elles ne s’y seraient pas attardées.

Il choisit donc de reporter toute son attention sur son hôtesse, qui une fois de plus abonda dans son sens. Bien, si il finissait par vivre ici, le trio infernal se ferait rare. Un bon point pour Zoé. Cette dernière tiqua lorsqu’il avait évoqué sa fraîche rupture avec Julia. Dans ce qu’il imagina être un élan de compassion sincère, elle parut outrée par les circonstances pour le moins abruptes de son départ. Une réaction qui n’ébranla pas Nathan, qui se sentait d’ores et déjà suffisamment en confiance avec la jeune femme pour lui répondre sans aucune gêne. Mais avant qu’il n’ait pu le faire, elle s’excusa, de peur d’avoir peut être outrepassé les limites d’une saine curiosité. D’un geste de la main qu’il accompagna d’un sourire effacé, l’écrivain la rassura.

- Oh non, ne t’inquiète pas … Niveau indiscrétion, tu feras jamais pire que les sites à scandales, de toutes façons. Elle a eu « une offre qu’elle ne pouvait pas refuser » … Enfin, d’après elle en tout cas. Le genre d’opportunité qui va généralement de pair avec un « nouveau départ ». Et … je n’étais pas inclus dans ses plans manifestement … Bah, c’est un mal pour un bien, je suis pas certain que j’aurais supporté la chaleur de toutes façons …

Evidemment, l’argument était bidon, et surtout là pour dédramatiser le tout face à Zoé. En vérité, il était encore en train de digérer cette rupture, et même avec tout le positivisme dont il savait faire preuve, certains détails lui restaient quand même en travers de la gorge. D’où l’importance pour lui de procéder à son tour à un « nouveau départ ». Dans un nouvel appart. Avec une nouvelle coloc ?

A sa suggestion, ils revinrent au cœur du sujet qui les occupait aujourd’hui. Mais la jeune actrice semblait légèrement décontenancée, et pas forcément très au fait sur la manière de procéder. Et bizarrement, ça le rassura un peu. Il la laissa chercher le document indiquant le montant du loyer, sans lui dire qu’il y avait à priori peu de chances que cela fasse une grosse différence pour lui. Il gagnait plutôt bien sa vie depuis quelques temps, et la sortie du livre allait certainement le tenir éloigné du besoin pour un moment. Lorsqu’elle lui tendit le papier, il y jeta un bref coup d’œil tout en écoutant sa question, reportant son regard azur sur elle lorsqu’elle eut finit.

- Eh bien déjà, j’ai de quoi payer le loyer, ce qui est un bon début. Et si ton proprio est du genre relou, j’ai sous le coude un ou deux garants assez convaincants. Je ne fume pas, je bois rarement. Je suis très sociable mais mes amis ne sont pas envahissants. Je suis célibataire, et j’ai l’intention de le rester un moment, donc pas d’invitées surprises au programme. J’ai un emploi stable. Je fais le ménage et la vaisselle. Je joue de la guitare, pas trop mal, mais si ça te casse les oreilles, je limiterai les occurrences. Oh, et j’ai une collection de films et de séries en blu-ray assez impressionnante.

Il n’avait pas préparé ce speech, mais il donnait l’impression d’être plutôt à l’aise, et l’énumération pêle-mêle avait quelque chose de plutôt cocasse. Il sembla alors réfléchir à ce qu’il pourrait ajouter de probant. L’impression de revivre un entretien d’embauche lui passa brièvement par la tête, avant qu’il se rappelle qu’il lui suffisait d’être honnête, d’être lui-même, finalement.

- Pour être franc Zoé, si c’était pas aussi galère de trouver un appart en ce moment, l’idée d’une coloc ne me serait pas venue à l’esprit. Mais quand j’ai vu ton annonce, je me suis dit « Après tout, pourquoi pas ? ». Et ... je crois que passé la première impression un peu chaotique … Ouais … je me verrais bien habiter ici … avec toi.

Son sourire était aussi simple qu’il était sincère. Il avait un bon feeling, que ce soit avec l’appartement, ou sa locataire.  

Elle n'aurait pas dû pouvoir être choquée par l'égocentrisme et la froideur de certaines personnes, à force de côtoyer sa famille et ses amis, pourtant l'histoire qu'il lui confia lui parut écœurante. Elle ne pouvait s'empêcher de comparer ça à sa propre relation, de s'imaginer à la place de cette fille et de simplement décider de partir sans même envisager une manière quelconque de faire tenir sa relation avec Katie et ça lui semblait juste... horrible. Comment pouvait-on laisser quelqu'un derrière soi de façon aussi abrupte et continuer de se regarder dans la glace après ?

Elle n'avait même pas les mots pour répondre à ça. Elle avait vu et subi assez de cruauté dans sa vie pour savoir que les mots ne faisaient pas grand-chose. Et dans le cade d'une rupture amoureuse aussi brutale, elle ne voyait pas d'autre remède que le temps. Et la compagnie, à supposer qu'il ne prenne pas la fuite pour trouver un autre appartement potentiel. Revenir au sujet d'origine semblait donc pour l'instant la meilleure manière de lui changer les idées.

Elle était un peu maladroite sur la marche à suivre mais l'essentiel au final, c'était juste de savoir si une colocation était envisageable. Il ne s'attarda pas très longtemps sur le loyer, ce qui en disait long sur sa capacité à le payer. Mais pour elle non plus, ce n'était pas la question principale. Elle s'en sortait très bien pour le payer toute seule, si l'argent était le problème, elle aurait facilement pu trouver plus petit pour réduire ses frais vu qu'elle n'avait pas besoin de deux chambres pour elle toute seule. Non, le plus important dans une colocation, c'était de savoir s'ils pourraient s'entendre ou si leur seule option serait de se cloîtrer dans leur chambre pour ne jamais se croiser. Même si en dehors de leur première altercation, vu comme le courant passait bien depuis qu'ils s'étaient retrouvés à l'étage, elle ne se faisait pas vraiment de souci là-dessus.

Son énumération lui tira un sourire. Au moins, il avait compris qu'elle ne s'attendait pas vraiment à ce qu'il lui fasse une longue liste de défauts. Il avait l'air d'être un peu comme elle, plus branché soirée tranquille devant un film que fêtes régulières ou gros rassemblement d'amis, calme sans être pour autant du genre à s'isoler pour ne parler à personne. Et il n'avait pas l'air de faire semblant juste pour avoir une chance de trouver un appartement. Quel aurait été l'intérêt, de toute façon ?

- Si j'ai le droit de piquer dans ta collection, on dirait qu'on va bien s'entendre.

Ses amies allaient détester. Quand elle avait parlé de chercher un colocataire, elles étaient parties du principe que ce serait forcément une fille. Quand elles avaient compris, ce matin, que la personne supposée visiter l'appartement n'était absolument pas le cas, elles avaient eu l'air choquées. Entre autres répliques hautaines, elle avait eu droit à des classiques comme "un garçon et une fille ne peuvent pas vivre sous le même toit sans coucher ensemble" ou "si tu vis avec un mec, ton appart va devenir un dépotoir", qu'elle n'avait ni écouté ni pris en compte. L'important, c'était surtout qu'elles verraient d'un très mauvais œil de la savoir en colocation avec un homme premièrement, et un qui préférait les soirées films aux soirées beuverie de surcroît. Donc elles ne viendraient pas, et c'était quand même un peu le but au départ. Le fait qu'ils aient l'air aussi compatibles au premier abord était aussi un bonus non négligeable.

- Heureusement que tu ne t'es pas arrêté à la première impression. Je sais pas pourquoi, mais je sens qu'on aurait raté une occasion de dingue si tu avais décidé de t'enfuir après ta première rencontre dans cet immeuble.

Elle observa un peu autour d'elle et émit un petit rire soufflé en voyant l'état un peu trop vide de son salon.

- Bon, par contre, si tu es intéressé pour vivre ici, j'espère que tu as un canapé confortable dans tes meubles parce que prendre le fauteuil à tour de rôle risque de devenir très fatiguant, très vite.

Bon, la question qui restait était de savoir comment ça fonctionnait. Parce que la dernière fois, la colocataire, c'était elle, et c'était la locataire d'origine qui s'était occupée de tout le blabla pour ne lui laisser que la signature du bail. Le plus simple était juste d'appeler le propriétaire, sans doute.

- Je suis pas très douée pour ce genre de choses mais, si le fait de devoir faire fuir mes amies une ou deux fois avant qu'on puisse vraiment être au calme ne te fait pas peur, je serai ravie de t'avoir comme coloc.

Elle avait même l'impression d'avoir eu un sacré coup de bol, sur cette visite.

Plus leur conversation avançait, plus un doux espoir semblait vouloir naître dans le cerveau de Nathan. Se pourrait-il qu’enfin, après ces derniers mois où les galères et autres situations hautement stressantes se sont enchaînées sans répit, se pourrait-il donc que la dernière en date soit au final le rebond positif qu’il attendait ? Sa rencontre percutante avec Zoé avait tout du coup du destin improbable, et leur échange subséquent lui faisait enchaîner sourire sur sourire. Bien sûr, l’hypothèse qu’elle soit en réalité une psychopathe bipolaire restait en l’air … mais ca n’était pas son ressenti. Non, au contraire, il avait l’intuition que dans le monde de faux-semblants et de paraître dans lequel elle évoluait, la jeune actrice pourrait peut être voir en lui une opportunité d’enfin pourvoir faire tomber le masque et d’être elle, tout simplement.

- Non seulement t’as le droit, mais à partir du moment où tu fournis le Pop Corn, je t’accompagne et on se fait nos petites séances ciné privées quand tu veux !

Il n’avait encore rien signé qu’il trouvait déjà ce programme alléchant, idéal pour décompresser entre deux séances d’écriture, ou une énième interview de dernière minute prévue par Andréa. Il parvenait même à les visualiser tous les deux devant la télé, signe qu’il n’existait déjà plus dans sa tête de contre arguments pour renoncer à cette colocation. Bon, ça lui demandait quand même un effort d’imagination compte tenu de l’aspect spartiate du salon actuellement. Le regard qu’elle lança alentours et le petit rire un brin gêné qu’elle y associa lui montra que cela la préoccupait également. Il s’empressa de la rassurer avec un petit geste de la main.

- Sans exagération Zoé, le garde-meuble que je squatte ressemble quasiment à une vitrine de chez Ikéa. Y’a vraiment de quoi faire. Dont un canapé. Donc si tu veux bien de moi ici, on pourra aller y faire une virée, et récupérer ce qui te botte ! Aucune obligation, au pire, je revendrai ce qui ne collera pas.

Encore une pièce du puzzle qui s’imbriquait parfaitement. Bon, la plupart des meubles en question avaient été achetés par Juliette, ce qui était assez ironique quand on songeait qu’elle lui avait tout laissé en partant à l’étranger. Mais si au final cela faisait le bonheur de sa nouvelle coloc, il n’était clairement pas du genre à attacher une importance à leur historique. Restait à savoir comment officialiser tout ça, et sur ce terrain là, il était aussi novice que Zoé. Mais ça ne devait pas être bien compliqué. Toutes les réponses se trouvaient certainement sur Internet.

- Écoute, même si ça ne doit probablement pas faire partie des conditions standards pour une colocation, « Challenge Accepted » ! Surtout si ça me garantit de vivre avec la vraie Zoé, crois moi : elles vont me détester trèèèès vite. Par contre …

Il posa une main sur l’épaule de la jeune femme, un air beaucoup trop sérieux sur son visage pour que ce qui allait suivre soit pris au premier degré.

- Je préfère te prévenir : tu dois être sure de toi. Une fois l’opération lancée, il n’y a plus de retour en arrière, et tu pourrais bien perdre « l’amitié » de ces pestes et retrouver ta tranquillité d’esprit … POUR TOUJOURS.

Son regard se braqua dans celui de Zoé, et il tenta tant bien que mal de conserver son expression intense, mais en voyant la bouille de la demoiselle se retenir de rire, il craqua et éclata de rire à la place.

- Pardon, je crois que je me suis peut être un peu trop enflammé. Ecoute, je sais pas si il y’a une façon officielle de faire ça mais … Zoé Lee, je serais honoré de devenir ton nouveau coloc. Et ton allié dans ta lutte secrète contre les Forces du Mal, bien sur.

Il lui tendait la main, un sourire complice aux lèvres.

En quelques minutes, elle était passée de "rechercher un colocataire potentiel" à "envisager des soirées films dans un canapé qu'elle ne possédait pa encore". C'était une progression assez fulgurante pour une journée qui avait commencé sur une base franchement peu solide. De manière générale, à moins qu'elle croule vraiment sous le travail, elle n'était pas du genre à dire non à un film ou une série. Il avait trouvé les bons mots pour gagner des points sans même chercher à le faire.

- Eh bien on dirait que la première excursion de cette coloc sera une mission récupération.

Elle se projetait déjà pas mal mais en même temps, elle ne voyait aucune raison de dire non. Tant qu'il ne prenait pas la fuite, ils étaient bien partis pour être colocs, du coup autant essayer de planifier un peu la suite.

Elle sourit du bout des lèvres quand le sujet revint sur ses amies. Elle n'avait aucun doute sur le fait qu'elles allaient effectivement le détester. Misandrie mise à part, même si ça jouait, il avait l'air à l'opposé du genre de gars qu'elles appréciaient assez pour les autoriser à entrer dans leur petit cercle. Et comme il n'avait pas du tout envie d'en faire partie, en plus, elles le verraient comme un alien.

- Je suis pas sûre que perdre leur amitié garantisse ma tranquillité d'esprit, vu comment elles traitent ceux qu'elles n'aiment pas. Mais ne plus les avoir chez moi sera déjà pas mal.

En soi, si elle voulait se débarrasser d'elles au sens radical du terme, elle n'avait qu'à être elle-même ; elles disparaîtraient en un clin d'oeil. Mais elle se retrouverait aussi sur la liste des gens qui subiraient leurs commentaires et leurs railleries, ce qui ne la tentait pas vraiment. Enfin bon, c'était une question pour une autre fois, dans les faits à moins d'être un tueur en série en cavale, il n'éjecterait pas les filles de sa vie du jour au lendemain Elle serra donc la main qu'il lui tendait en lui rendant son sourire.

- Bienvenue. On a un peu de déblayage à faire pour transformer cet endroit en havre de paix mais je suis sûre qu'à deux on s'en sortira très bien.

Ça promettait quand même d'être une colocation mouvementée. Tant que c'était dans le bon sens du terme, tout irait bien.