La douce caresse du bout des doigts de l’héroïne contre sa joue agit sur Bad Wolf presque instantanément. Toute l’agitation, tout le stress qui faisaient rage derrière son masque après cette confrontation éprouvante retombaient. Il prenait seulement conscience qu’envers et contre tout, ils avaient réussi, une fois de plus, à sauver Paris du désastre. L’infecté n’était plus, et avec lui, toute trace de cet affrontement qui les avait pourtant tellement éprouvés tous les deux, comme si rien ne s’était passé … Et pourtant …

Pourtant, elle se tenait bien là, devant lui, plus proche qu’elle ne l’avait jamais été, et bien réelle. Elle qui incarnait à ses yeux la partenaire idéale, complice, complémentaire, et combative.  Dans le feu de l’action, qu’ils traversaient de nuit en nuit, ils n’avaient jamais le temps de se poser, et de prendre la juste mesure du lien qui les unissait. Mais ce temps était révolu.

Elle était si belle, là, face à lui, la lueur de la lune conférant un halo presque irréel aux multiples couleurs qui l’habillaient. Instinctivement, ses mains vinrent chercher les fines courbes de sa taille, avant de l’attirer doucement contre lui. Ses yeux plongèrent droit dans les siens, ignorant les masques qui les séparaient pour n’y voir que le reflet des étoiles qui nimbaient le ciel Parisien ce soir. Et à chaque seconde qui les voyait se rapprocher, l’esprit du justicier se vidait un peu plus de toutes ses préoccupations. Il n’était plus le héros impassible qui rôdait sur les toits de la capitale. Plus le combattant aguerri qui finissait toujours par triompher. Plus le loup qui attendait patiemment, tapi dans l’Ombre, que sa proie ne se montre pour pouvoir y planter ses griffes. Non.

Cette fois, la proie, c’était lui. Et il n’avait aucune intention de fuir. Ils étaient maintenant si proches qu’il pouvait sentir toutes les nuances de son parfum sucré, percevoir son souffle, de plus en plus court, effleurer son visage. Milles questions auraient du lui passer par la tête, et tout autant de vérités fondamentales sur la nature de ce qu’ils s’apprêtaient à faire, mais rien de tout cela n’avait plus d’importance à ses yeux que cette bouche aux lèvres pleines qui s’avançait inexorablement vers son visage. Il le savait maintenant au plus profond de lui : cela devait arriver.

Et alors que leurs yeux se fermaient presque simultanément, le Loup et le Colibri s’embrassèrent pour la première fois. Bad Wolf sentit son corps s'embraser d'une douce chaleur alors que leurs lèvres se rencontraient, timidement d'abord, puis très vite, avec une passion qu'aucun des deux n'aurait pu soupçonner. L'étreinte du héros se resserra imperceptiblement autour de la jeune femme, comme pour lui faire comprendre qu'il ne voulait plus la laisser partir. Plus rien d'autre ne comptait. Pas même les bips de leurs Miraculous respectifs qui retentirent de concert pour leur indiquer que leur détransformation allait commencer …

Une seconde. Une seconde d'inattention, après la descente du stress et de l'angoisse face à l'attaque d'astralisé du jour, c'est tout ce qui lui avait fallu pour qu'une part d'instinct dont même elle ne soupçonnait pas l'existence prenne le dessus. Elle n'aurait pas dû être si proche, pas dû poser aussi facilement la main sur sa joue, comme si c'était la suite logique, naturelle, de la complicité qui s'était installée entre eux au fil des combats.

Ce petit pas qu'il était dangereux de faire pour deux super-héros dont l'anonymat garantissait la sécurité, elle l'avait osé, presque inconsciemment. Les secondes, l'adrénaline qui retombait, l'incongruité de la douceur après le chaos avaient fait le reste. Elle frissonna en sentant les mains du loup plus si solitaire se poser contre sa taille, les picotements sur sa peau malgré les costumes qui les séparaient. Le masque qui dissimulait leur identité ne suffit pas à cacher l'intensité de leur regard respectif quand il l'attira à lui, quand leurs yeux se croisèrent comme si c'était la première fois qu'ils se regardaient, au lieu de regarder une cible à combattre.

Il n'y avait plus de combat.
Plus de danger.
Pourtant, son cœur n'avait aucune envie de calmer le rythme.

Elle n'entendit pas le bip de son miraculous alors qu'elle avançait son visage, seulement la respiration qui, comme la sienne, tremblait d'anticipation. Aucun son n'aurait pu la distraire ou la ramener à une réalité qui ne se résume pas aux yeux plongés dans les siens et aux lèvres qui, bientôt, trouvèrent le chemin des siennes.

Chaleur dans ses veines, frémissements sur sa peau ; son corps lui-même s'était laissé troubler par la passion qui s'était emparée de leur étreinte. La main de la jeune héroïne glissa derrière la nuque de ce partenaire dont le titre semblait changer de sens un peu plus à chaque seconde qu'ils passaient enlacés.

Bip.

Elle perçut le bruissement familier des ailes de Zzin avant de réaliser le sens du son qui l'avait précédé. Le son d'une détransformation, alors que Pokeberry l'héroïne redevenait Zoé l'actrice. Le son d'un secret qu'ils n'étaient pas censés découvrir et qui n'était qu'à un mouvement de paupières d'être brisé. Le son d'un choix qu'elle était, malgré les risques, incapable de considérer comme une erreur.

N'ouvre pas les yeux. Ne parle pas. Tant que ni l'un ni l'autre ne brisait les dernières barrières de la confidence, le secret était toujours là, intact, seulement révélé par le goût de ses lèvres – inconnu – et par la forme de sa mâchoire sous sa paume – familière, peut-être.

N'ouvre pas les yeux. Ne parle pas. Elle ne fit ni l'un ni l'autre, mais sa main effleura, malgré elle, le contour de ce visage que la curiosité l'incitait à découvrir… ou à reconnaître.

N'ouvre pas les yeux. Ne parle pas. Juste une seconde. Juste pour savoir. Zzin s'agita derrière elle, comprenant avant elle qu'elle ne tiendrait pas face à la tentation.

N'ouvre pas les yeux. Elle entrouvrit les paupières. À peine. Suffisamment. C'était un visage qu'elle avait trop vu pour ne pas reconnaître.
Ne parle pas. L'inspiration de surprise qui franchit ses lèvres fut instinctive. Sans signification pour qui que ce soit d'autre, mais pas pour quelqu'un qui entendait sa voix tous les jours.
Le secret se brisa en trois lettres. Un mot. Zoé. Son prénom qu'elle avait tant entendu de sa part ; son prénom qu'elle ne l'avait jamais entendu prononcer ainsi.

Elle ouvrit les yeux pour rencontrer son regard, sans les masques, sans la magie qui brouillait les perceptions, et pourtant, si similaire qu'elle se demanda comment elle avait pu ne pas le reconnaître. Il était toujours proche, assez pour sentir son parfum, assez pour percevoir son souffle, assez pour réaliser qu'elle n'avait pas envie qu'il s'écarte. Elle comprenait sans comprendre. L'image de leurs combats se superposait à celle de leur amitié, infaillible, qui flanchait finalement sous le poids d'un secret brisé.

- Ce n'est pas… balbutia-t-elle sans trouver de mots pour exprimer la confusion dans son esprit. Toi et moi, on est…
- …amis ?

Ami. Colocataire. Meilleur ami. Partenaire. Qu'elle avait embrassé. Qui l'avait embrassée. Qui ne semblait pas croire un seul instant le mot qu'il venait d'employer pour compléter sa phrase. Un instant d'hésitation flotta dans son esprit, formula une pensée qui ne s'invita pas sur ses lèvres, déjà parties retrouver celles qu'elles ne voulaient plus quitter.
Elle passa ses bras autour de son cou, sentit les siens autour de sa taille qui raffermissaient encore leur étreinte.
Quel besoin y avait-il de trouver un mot pour tout définir, finalement ?

Peut-être était-ce l’odorat aiguisé du loup qui avait déteint sur son porteur, mais le premier détail qui fit légèrement tiquer Nathan alors qu’il retrouvait son apparence normale, c’était ce parfum. Ces notes d’agrumes si familières qui venaient quotidiennement lui chatouiller les narines à chaque série visionnée côte à côte, ou quand elle venait lui quémander un calin après une journée trop difficile. L’odeur caractéristique de ce shampooing dont il voyait la bouteille orange tous les jours en prenant sa douche. Cela aurait pu suffire à le déstabiliser, si l’intensité du baiser qu’il échangeait avec sa partenaire n’avait pas complètement annihilé sa faculté à traiter les informations qui arrivaient à son cerveau.

Il était en train d’embrasser Pokeberry. La seule partenaire qu’il considérait comme telle. Celle qui, au fil de leurs rencontres nocturnes, avait gagné sa confiance. Le duo dynamique, quoi qu’improbable, qu’ils formaient avaient toujours été lié par un sentiment jusque là intangible, mais qui à chaque seconde où leurs lèvres se pressaient les unes aux autres, devenait beaucoup plus clair. Cette peur qu’il intériorisait lorsqu’il la voyait en danger, ce sourire qu’il ne masquait plus quand il la voyait triompher d’un astralisé. Et ce manque, cruel, qu’il éprouvait quand elle n’apparaissait pas à ses côtés certains soirs. Maintenant qu’elle était dans ses bras, et qu’il se refusait de la laisser partir, enivré par les sensations que leur étreinte provoquait en lui, il ne pouvait que se rendre à l’évidence …

… Sauf qu’il n’embrassait plus Pokeberry.

Sous la paume de sa main toujours occupée à serrer la fine taille de sa partenaire, la sensation familière du tissu élastique de leurs costumes avait subtilement cedé la place à celle du cuir de ce qu’il imagina être une petite veste. Lui-même se sentait libéré de sa tenue de super héros, et notamment des oreilles de loup qui ceignaient sa chevelure. Ils s’étaient détransformés. Tous les deux. Leurs Kwamis respectifs devaient probablement être en train de se toiser, et ils étaient à un battement de paupières de foutre en l’air l’élément primordial de leur vie de justiciers : leur identité secrète.

Mais ce parfum … Encore ce parfum.

C’est à cet instant qu’il eut un flash.
Il connaissait ce parfum. Par cœur.
Il avait déjà serré cette silhouette gracile dans ses bras. Plusieurs fois.
Et si ses lèvres décidaient de s’aventurer en périphérie des siennes, elles y retrouveraient probablement la douceur familière de joues rebondies.
Il n’eut pas besoin de le faire. Il savait. Et lorsqu’il l’entendit hoqueter de surprise, la dernière once de doute s’évapora.

Zoé …

La voix de Nathan, d’habitude si joviale, était plus proche de celle de son alter ego tant elle s’apparentait à un feulement. Malgré le poids écrasant de cette réalisation, c’était à contre-cœur qu’il avait éloigné son visage du sien avant de rouvrir les yeux. La mèche rose de sa meilleure amie le narguait presque au beau milieu de sa chevelure dorée, comme pour lui dire « Vraiment ? Tu n’avais pas tilté avant ? Bien joué, Sherlock ! ». Elle semblait toutefois aussi abasourdie que lui, ses grands yeux bleus ne quittant pas les siens. Il ne la lâcha pas pour autant. Non, plus que jamais dans leur vie commune, ils allaient devoir faire front ensemble.

- Ce n'est pas… Toi et moi, on est…
- …amis ?

Il avait prononcé le mot fatidique avec un vague sourire en coin qu’elle connaissait bien, celui qui accompagnait généralement ses meilleurs traits d’ironie. Non, au beau milieu de ce joyeux bordel, du chaos qui allait immanquablement venir s’immiscer dans tous les aspects de leurs vies, il y avait bien une seule certitude : ils n’étaient plus amis. Ce baiser avait définitivement enterré ce concept. Et même si tenter de le définir là, tout de suite, aurait été casse-gueule même pour lui, Nathan savait que c’était quelque chose de bien plus fort que ça. Quelque chose qui avait sans doute toujours été là, juste sous leur nez, depuis le début. Et il ne pouvait plus l’ignorer. Merde, il ne voulait plus l’ignorer !

Les conséquences viendraient sûrement en temps et en heure, il n’en doutait pas. Mais là, tout de suite, il s’en foutait. Tout ce qu’il voulait, c’était l’embrasser encore. Et encore. Et encore. Elle le devança, et il ne s’en offusqua pas, au contraire. Il affirma un peu plus son étreinte sur Zoé, lui faisant comprendre tacitement qu’il voulait tout autant qu’elle ce qui était en train de se passer, et que quoi qu’il leur arrive par la suite, ils seraient deux pour le confronter. Comme ils l’avaient toujours été. Leurs bouches n’avaient de cesse que de venir se provoquer, s’effleurer. Une des mains de Nathan remonta lentement le long du dos de sa partenaire, pour venir trouver sa nuque qu’il caressa avec douceur. Il profita d’un bref instant de répit, sans pour autant trop éloigner son visage de celui de Zoé, allant murmurer à son oreille avec un sourire :

- Comment j’ai pu faire pour ne pas capter … à quel point j’attendais ce moment ?

Sa paume vint envelopper la joue de la jeune femme, tandis qu’il posa son front contre le sien dans un léger rire euphorique. Ses yeux dans les siens, le reste du monde n’existait plus. Même Lobbo et Zzin, qui pourtant flottaient toujours à quelques centimètres de leurs têtes, n’arrivaient pas à les faire atterrir.

L'ironie dans son sourire, dans sa voix, voulait tout dire. Bien sûr que non, ils ne pouvaient pas se considérer comme étant amis. Plus maintenant. Parce qu'elle n'avait cessé de l'embrasser qu'à contrecœur, et parce qu'il ne lui fallut que peu de temps, après la surprise et la réalisation, pour revenir chercher ses lèvres comme si elle n'attendait que ça depuis... combien de temps exactement ? Elle n'avait pas la tête à y penser. En fait, toute la part de son esprit qui était consciente des multiples complications qu'impliquerait ce moment était réduite au silence.
Plus tard.

Pour l'instant, tout ce qui comptait, c'était lui. Nathan, avec qui elle vivait presque depuis son arrivée à Paris ; Bad Wolf, aux côtés de qui elle combattait depuis qu'elle avait les armes pour le faire. Ce qu'elle ressentait était confus, intense et extatique. Leurs lèvres ne se séparaient que pour mieux se retrouver un instant plus tard, une infime fraction de seconde qui paraissait trop longue à supporter. Elle n'avait pas envie d'arrêter, pas envie de se poser pour réfléchir.

Zoé tressaillit doucement en sentant sa main remonter dans son dos pour se poser contre sa nuque, rouvrit les yeux, le souffle court et les joues rougies par l'émotion, quand la seconde entre leurs baisers s'étira. Une fin qui n'en était pas vraiment une ; ils étaient si proches qu'il aurait suffi d'une petite impulsion pour renouer le contact.

Cependant, cette fois, elle n'en fit rien. Son esprit vacilla quand Nathan vint murmurer à son oreille et elle se retrouva incapable de faire autre chose que de sourire. Ses mots faisaient tant écho à ses pensées. Comment avait-elle – avaient-ils – pu ignorer la force qui les poussait l'un vers l'autre ? Elle lui paraissait tellement irrésistible, en cet instant, que Zoé peinait à croire qu'elle n'en avait pas conscience avant de sortir ce matin.

Et maintenant, toutes ces choses qu'elle avait mis tant de temps à comprendre se bousculaient en même temps dans sa tête. L'intensité de son regard, l'éclat de son rire, la chaleur à la fois réconfortante et enivrante de ses bras. Sa peau, son visage, ses yeux, son sourire, son souffle, son parfum, sa présence... C'était comme le redécouvrir après l'après l'avoir vu tout ce temps à travers une chape de brume. Ses lèvres vinrent frôler les siennes,  en contraste avec la passion qui les scellait un peu plus tôt. Zoé effleura sa joue du bout des doigts, prenant conscience à travers les petits picotements sous sa peau d'à quel point son contact était magnétique.

- Vivre avec toi sans avoir envie de t'embraser en permanence va être très compliqué...

Elle émit un petit rire en jouant avec une mèche de cheveux qui était venue s'inviter sur sa main. C'était plus une plaisanterie qu'autre chose, même s'il y avait un fond de vérité. Cohabiter avec son meilleur ami était une chose, mais elle avait l'impression d'avoir redistribué toute les cartes dans un parterre d'incertitude. Cela dit, pour une fois, cette incertitude ne lui faisait pas peur.

Même si il avait plongé tout entier, et en pleine conscience dans l’intensité du moment qu’ils partageaient, Nathan ne pouvait pas s’empêcher d’être ponctuellement surpris. Surpris par le naturel avec lequel ils s’enlaçaient, s’embrassaient, comme si cela avait toujours été la norme entre eux. Surpris par la sensation de manque qui venait le tirailler lorsque leurs bouches devaient s’éloigner l’une de l’autre. Surpris que malgré tous les moments de complicité et de tendresse qu’ils avaient connus depuis qu’ils vivaient ensemble, ils n’aient jamais franchi cette limite plus tôt. Malgré l’avalanche de questionnements métaphysiques qui attendait patiemment au-dessus de leurs têtes pour s’abattre, il avait une certitude : c’était ainsi que les choses devaient être entre eux. La douce exaltation qui s’était installée dans son corps ne pouvait pas mentir.

Avide du moindre contact qu’elle consentait à lui offrir, Nathan laissa ses doigts arpenter sa joue, sans se départir du sourire qu’elle avait laissé sur ses lèvres. Il la regardait, cette petite bouille qui faisait partie de son quotidien, ce timide rayon de soleil qui se muait tranquillement sous ses yeux en un éclat aveuglant. Ce visage qu’il avait vu passer par bien des états, au gré des évènements qu’elle avait traversé depuis son arrivée à Paris. D’aussi loin qu’il s'en souvienne, il ne l’avait jamais vue aussi heureuse. Et l’idée qu’il en soit en grande partie responsable le comblait plus qu’il ne saurait le dire.

Son rire, toujours aussi espiègle, fut communicatif. Il baissa légèrement les yeux, le temps de retrouver un brin de sérieux, pour pouvoir lui répondre de la seule façon qu’il savait le faire avec elle. Sa main glissa pour que son pouce et son index viennent se saisir délicatement du menton de Zoé, et il haussa un sourcil faussement réprobateur.

- Si tu essaies de me pousser à déménager, laisse-moi te dire que tu t’y prends vraiment très mal, p’tit chat.

Il ne put contenir une nouvelle envie d’embrasser tendrement son adorable partenaire, ses deux mains enveloppant de leur paumes ces joues rebondies comme s' il avait peur de la laisser partir. Non, définitivement, quel que soit le nouveau mode de fonctionnement qui allait inévitablement se mettre en place entre eux suite à cette soirée, il n’impliquerait pas une absence de baisers. Il y veillerait. La douceur de ses lèvres contre les siennes était devenu un prérequis à son bonheur, et c’était irrémédiable.

Son souffle se mêlait au sien, et la douce chaleur qui les unissait ne semblait pas vouloir décroître. Il fallut qu’une légère bise ne vienne frôler leurs cheveux pour pousser Nathan à prendre une pause, et enfin réaliser où ils se tenaient tous les deux.

Sur un toit, au beau milieu de Paris. En civils. Avec leurs Kwamis respectifs qui voletaient, en gardant jusque là un silence respectueux.

Aïe.

- Cela dit, on devrait peut-être continuer la soirée ailleurs ? Quelque chose me dit que Zoé Lee et Nathan Delune n’ont pas beaucoup de raisons valables de se bécoter sur les toits de Paris à deux heures du mat’. Enfin … A part une envie irrépressible de le faire, bien sûr.

Sourire n'avait jamais été aussi facile. Pour elle qui avait passé sa vie à faire semblant, à jouer des rôles qu'elle ne laissait derrière elle qu'une fois franchie la porte de son appartement, ce naturel la baignait dans une douce euphorie. Elle était elle-même, et elle était heureuse, deux conditions qui ne semblaient jusque-là pas capable de cohabiter.

La manière dont il vint relever son visage ne fit que briller son sourire davantage, avec une lueur espiègle dans le regard. Au fond, même si certaines choses avaient changé, allaient changer, il restait lui aussi parfaitement lui-même. Celui qui l'avait vue et soutenue à travers les meilleurs comme les pires moments de sa vie à Paris, et qui possédait toujours en quelques mots le pouvoir de remonter son humeur.

- Oh, crois-moi, j'ai aucune envie que tu déménages.

Hors de question de vivre loin de lui alors que sa présence était devenue si essentielle. Elle s'était tellement habituée à le voir, à l'entendre, à pouvoir se blottir dans ses bras quand sa journée l'avait un peu trop secouée. Vraiment, la question revenait : comment ne s'était-il rien passé entre eux avant aujourd'hui ? Il l'embrassa à nouveau, comme pour rattraper le temps perdu, comme pour s'assurer qu'elle n'irait nulle part, comme s'il ne pouvait pas se passer d'elle. Ou peut-être que c'était simplement ses propres pensées qu'elle lui attribuait, alors qu'elle passait à nouveau ses bras autour de son cou pour le garder près d'elle.

Le retour à la réalité fut moins brutal qu'elle ne l'aurait craint. Elle souffla un petit rire avant de se blottir un peu contre lui, tête contre son épaule, pour observer la ville qui s'étendant sous leurs pieds. La vue était magnifique, mais il avait raison : ils ne pouvaient pas rester là. Et pour descendre, à moins de vouloir s'embêter à chercher un escalier de service quelque part, le plus simple était encore de reprendre leur costume. Sans quitter ses bras, elle sortit une fleur d'un sachet dans sa poche et la tendit à Zzin, qui ne se fit pas prier pour se jeter dessus.

- Tu veux que Pokeberry te raccompagne chez toi ? Juste pour être sûre qu'il ne t'arrive rien sur le chemin du retour, bien sûr.

Ouais, ça restait quand même étrange de se dire qu'il connaissait cette identité. C'était un secret qu'elle avait gardé avec tant de soin qu'elle mettrait probablement un certain temps à assimiler qu'elle pouvait en parler librement devant lui, avec lui.  

Il avait vraiment fallu ce bref éclair de lucidité, associé au regard impassible de Lobbo, qui le fixait sans mot dire depuis leur détransformation, pour que Nathan daigne considérer renoncer, même temporairement, à la douceur de cet instant, parfait. Même la ville, passé le tumulte des agissements de l’Astralisé, semblait vouloir retrouver un calme seyant au moment d’intimité que les deux héros venaient d’échanger. Mais il n’en demeurait pas moins qu’il s’agissait de Paris, une ville qui, lorsqu’elle dormait, ne le faisait que d’un œil. Et il ne voulait pas risquer de compromettre les débuts de l’idylle qui venait de naître en y ajoutant d’autres complications potentielles.

Imitant Zoé, le jeune homme alla fouiller dans la poche intérieure de sa veste pour en sortir un sachet de Beef Jerky, le fameux bœuf seché à l’américaine dont raffolait son Kwami. Prestement, Lobbo vint de lui-même chercher les victuailles, sans mot dire. Nathan était certain qu’ils auraient une conversation, ou plutôt un sermon, sur les évènements de la soirée, mais il semblait vouloir attendre que son porteur soit seul. Mieux vaut préparer mon bouclier anti-remontrances d’ici là …

Il ne put réprimer un sourire en voyant Zoé nourrir Zzin, hochant légèrement la tête de gauche à droite alors qu’il réalisait que le Kwami avait également vécu sous leur toit tout ce temps, qu’ils avaient sans aucun doute traversé les mêmes galères pour préserver leurs secrets … qui devenait aujourd’hui leur secret. La somme d’anecdotes, d’explications à des moments incongrus, sans parler des excuses bidons dont ils s’étaient servis l’un envers l’autre pour pouvoir s’éclipser … Nathan en avait le tournis rien que d’y penser. Une chose était certaine : ils ne manqueraient clairement pas de sujets de conversation pour les semaines à venir.

- Hum, ça serait vraiment un honneur … Mais malheureusement, Nathan va devoir décliner cette offre … Parce que Bad Wolf n’est pas du genre à abandonner sa partenaire.

Il lui adressa un clin d’oeil charmeur, un simple battement de paupière, qui était pourtant plus révélateur que toutes les déclarations qu’il aurait pu lui faire à cet instant. Quels mots ? Ils étaient inutiles, tant elle pouvait le voir saisi par sa beauté, qui rayonnait d'autant plus à chaque sourire sincère qu'elle lui lançait. Il était doucement en train d'intégrer cette réalité pas si nouvelle : Zoé s'était tenue à ses côtés dès lors qu'ils s'étaient rencontrés, même à son insu. Elle avait toujours été là, et il savait maintenant qu'il donnerait absolument tout pour que ça ne change pas de sitôt. Peu importe les obstacles, les complications : ils les affronteraient ensemble.

Il jeta un rapide regard à Lobbo, qui avait l’air rassasié, et d’un signe de tête, désigna à Zoé sa main droite, où se trouvait son Miraculous, qu’il ne quittait plus depuis qu’il lui avait été confié par son Gardien. Sa voix se fit velours lorsqu'il lui murmura :

- Qu’est-ce que tu en dis ? Ensemble ?

La bulle qui les isolait du monde s'était dissipée sans véritablement se briser. La ville était étonnamment calme, pour une nuit parisienne, comme si elle-même ne mettait fin qu'à contrecœur à ce moment hors du temps qu'elle leur avait accordé. Pourtant, Nathan avait raison : ils ne pouvaient pas rester éternellement sur ce toit. Zzin, fidèle à lui-même, s'attaqua à la fleur sans vraiment poser de questions ni faire de commentaire ; le kwami de son partenaire semblait plus tendu. Silencieux aussi, mais son silence était... différent. Zoé esquissa un petit sourire.

- C'est donc à cause de lui que la viande séchée disparaît aussi vite dans l'appart.

Zzin avait une fâcheuse tendance à grignoter les fleurs quand ils dormaient ou quand elle était seule à la maison. Si le loup lui ressemblait même un petit peu, rien d'étonnant à ce que les paquets se vident aussi vite. À moins que ça ne soit juste le porteur qui en mangeait autant que son kwami. Elle émit un rire discret quand il déclina sa proposition.

- Pas de beau damoiseau en détresse à sauver pour moi aujourd'hui, alors. Je devrais m'en remettre, surtout si tu continues de me regarder comme ça.

Elle n'aurait jamais cru voir ce genre d'émotion dans ces yeux, surtout envers elle, mais elle réalisait déjà qu'elle ne pourrait plus s'en passer. Finalement, deux secrets avaient pris fin dans la même seconde : celui qu'ils gardaient pour se protéger, et celui dont ils n'avaient eux-mêmes pas conscience. Elle glissa doucement sa main dans celle de Nathan quand Zzin vint se poser sur son épaule.

- Ensemble.

Étonnamment, elle sentit quand même une petite pointe d'appréhension. Bien sûr, ils savaient tous les deux, et elle n'avait aucun mal à superposer l'image de Nathan à celle de son alter-ego, mais se transformer face à lui marquait une forme de révélation un tantinet différente. C'était le revoir, transformé, en sachant pertinemment qui se cachait sous le masque, sans le filtre des kwamis qui avait juste-là maintenu le secret en place. C'était véritablement laisser derrière elle tout le côté confortable de savoir qu'absolument personne ne pourrait la reconnaître. Elle fut tentée de fermer les yeux, préféra aller chercher les siens pour y accrocher son regard.
Toutes ses petites angoisses d'actrice qui n'avait jamais vraiment pu être elle-même se dissipèrent. Elle attendit qu'il commence à prononcer le nom de son kwami pour faire de même.

- Zzin, transforme-moi.

Les couleurs vives et multiples de son costume remplacèrent sa tenue, sa coiffure, dissimulèrent ses yeux sous son masque décoré de plumes. Elle vint caresser sa joue comme elle l'avait fait à la fin du combat, une éternité plus tôt.

- Heureuse de te retrouver, partenaire.

Est-ce qu'il avait toujours été aussi beau dans ce costume ?   

Lorsque Zoé vint glisser sa petite main douce et chaude dans la sienne, Nathan sentit au plus profond de lui à quel point ce qu’il se passait en ce moment changeait absolument tout. Dieu sait que ces derniers mois avaient été riches en rebondissement pour lui. La rencontre avec le Gardien et sa découverte des Miraculous avaient littéralement révolutionné son existence, l’ouvrant à de nouvelles possibilités et de nouveaux dangers. Mais malgré cela, il avait l’intime conviction que cette main dans la sienne, et ce qu’elle symbolisait, représentaient un bouleversement bien plus important. Cela aurait pu légitimement l’effrayer. Mais face aux yeux bleus scintillants de la jeune femme, plus rien ne lui faisait peur.

Elle semblait chercher en lui la confiance de se lancer, d’abandonner ce qu’il restait de faux-semblants entre eux, pour se révéler à nouveau, sous son autre facette. Mais pour Nathan, maintenant que le secret avait été révélé, il savait que peu importe l’apparence qu’elle revêtait, il aurait en face de lui celle qui avait donné à son cœur ses plus belles mélodies. Son sourire, tendre, lui donna toute l’assurance dont elle avait besoin : il était là, et il le resterait.  C’est avec cette pensée en tête, et une voix beaucoup plus suave qu’à l’habitude, qu’il prononça ces mots qu’il avait tant de fois scandés.

- Lobbo, transforme moi !

Le Kwami plongea en lui, et après un flash lumineux, il fut rapidement enveloppé par sa tenue de justicier, où le noir de leurs nuits sur les toits parisiens était agrémenté de quelques bandes bleues rayonnantes. Son masque, ainsi que ses oreilles à l’affût virent compléter l’ensemble, et Bad Wolf était de retour.  Face à lui, Pokeberry, toujours aussi hypnotisante, se tenait là, sublime. Et le fait de connaître celle qui se cachait derrière le masque ne faisait que renforcer son admiration pour sa partenaire. Lorsqu’elle vint à nouveau s’emparer de sa joue, il posa sa main sur la sienne, et y déposa un baiser sur la paume gantée de l’héroïne.

- Tu ne m’as jamais vraiment perdu, Pokeberry, murmura t-il, en levant ses yeux vers les siens.

Avant même qu’il ne s’en rende compte, son autre bras était à nouveau venu s’emparer de la taille de sa partenaire pour la rapprocher de lui. Peut être était-ce l’effet du Miraculous sur son porteur, mais il avait l’impression de la sentir encore plus, son odeur, les pulsations de son cœur, sa respiration … Et il voulait la sentir contre lui. Comme si il avait peur qu’on la lui reprenne.

-  Finalement, c’est peut être plus de combattre à tes côtés sans avoir envie de t’enlacer qui va s’avérer difficile … J’espère que les Astralisés seront conciliants.

Il replaça doucement la main de Pokeberry, toujours dans la sienne, autour de son cou. Il ne savait pas encore comment ils allaient regagner leur appartement, mais cela impliquait forcément de se lâcher. Et le Loup n’était pas pressé de le faire.

Sa main autour de la sienne et l'absolue confiance qu'elle lisait dans son regard suffirent à dissiper ce qu'il lui restait d'inquiétude face aux événements. C'était nouveau, c'était être elle-même sous toutes ses facettes, mais en sachant qu'il restait là, avec elle, ça ne lui faisait plus peur. Les deux formules de transformation se mêlèrent, presque synchronisées comme s'ils s'étaient transformés ensemble depuis le début.

C'était le même Bad Wolf qui apparut devant elle mais pourtant, tout semblait différent. Maintenant qu'elle savait, les traits de son visage lui paraissaient plus précis, comme si le filtre des miraculous ne prenait plus la peine d'agir. Elle le voyait malgré le masque, malgré le costume, elle reconnaissait aisément la forme de son visage sous sa paume. Ses joues se teintèrent de rose quand il vint doucement embrasser sa main et elle retrouva définitivement son sourire. Cette douceur était si caractéristique de leur temps passé ensemble qu'elle se trouva un peu bête d'avoir cru qu'il en serait autrement une fois les secrets révélés.

Elle se laissa attirer dans ses bras, posant naturellement sa tête contre lui avec un petit rire. Ils compromettaient moins leur identité ainsi, leur vrai visage inaccessible aux regards curieux des parisiens, mais leur résolution de rentrer semblait s'être effacée aussi rapidement qu'elle était apparue. Au fond, maintenant qu'il n'y avait plus le risque d'être démasqués, ils pouvaient bien se permettre de traîner un peu sur ce toit, non ?

- Nos kwamis se feront un plaisir de nous faire la morale si on n'arrive pas à se lâcher pendant un combat.

Zzin n'était pas du genre à venir lui faire la leçon, mais vu la tête qu'avait tiré Lobbo quand il était revenu aux côtés de son porteur, elle était à peu près sûre qu'on ne pouvait pas en dire autant de lui. Elle ne put retenir un rire soufflé en imaginant le petit kwami les bras croisés et l'air courroucé en train d'essayer désespérément d'expliquer à Nathan qu'embrasser sa partenaire à quelques secondes de la détransformation était une idée inconsciente.

Elle remonta un peu la main qu'il avait placée autour de son cou pour venir taquiner une de ses oreilles.

- Il faut qu'on rentre à la maison, louveteau, avant que Pokeberry et Bad Wolf fassent les gros titres demain matin.

Facile à dire alors qu'elle n'avait pas bougé d'un millimètre pour quitter son étreinte. Si la moindre personne avec un téléphone passait la tête par la fenêtre là, maintenant, il faudrait quoi... trois, quatre minutes ? pour que tout le monde se passe le mot et que les spéculations pullulent sur internet. Raisonnablement, il aurait donc fallu qu'elle réussisse à se détacher de ses bras pour retourner à l'appartement. Elle ne pouvait même pas utiliser son pouvoir pour aller plus vite : ça aurait impliqué de se séparer de lui jusqu'à ce qu'il la rejoigne, et elle n'en avait aucune envie.

Il accueillit le visage angélique de Pokeberry contre son torse, caressant avec tendresse sa joue rosée par la fraîcheur de la nuit parisienne … à moins que ça ne soit autre chose ? La pensée que son Kwami n’était pas entièrement responsable des couleurs qu’elle arborait le fit sourire. Il ne connaissait pas encore Zzin, mais le peu qu’il en avait vu  pendant qu’ils étaient détransformés  mais la petite créature lui avait parue délurée et extravagante, un peu comme Tidee lorsqu’il avait brièvement possédé le Miraculous de la Sauterelle. A milles lieues en revanche de Lobbo, mais il y avait fort à parier que le Kwami de l’Occultation ne goûterait que fort peu la situation actuelle. Au point d’en référer à son Gardien ? Cette pensée commençait à faire son chemin dans l’esprit du héros quand elle fut interrompue par la main de sa partenaire venant jouer avec les oreilles qui composaient son costume.

Toute son attention fut instantanément reportée sur Zoé. Oui, Zoé. Malgré son masque, sa chevelure chamarrée, son costume et sa multitude de couleurs, maintenant qu’il savait, il ne voyait plus qu’elle. Était-ce si surprenant après tout ? Tant la porteuse du Miraculous du Colibri partageait les mêmes traits qu’il avait toujours admiré chez son amie. Son courage, sa compassion, son humour, sa combativité face à l’injustice … Si il avait été un Gardien, elle aurait sans doute été la première personne à qui il aurait confié un Kwami. Et si la révélation de leurs identités secrètes ne changerait rien à leur alchimie en tant que super-héros, il éprouvait un grand contentement à l’idée que la personne derrière le lou de Pokeberry soit chère à son cœur dans la vraie vie.

Le regard plus tendre qu’à l’accoutumée lorsqu’il incarnait le loup justicier, Nathan acquiesça lentement à la proposition de sa partenaire. Mais ce fut à peu près le seul geste qu’il daigna effectuer pour la concrétiser.

- On est d’accord que ça ne devrait pas être aussi difficile de se lâcher, hein ? Surtout quand on sait qu’on va se retrouver chez nous dans cinq minutes.

Il prit une longue inspiration en fermant les yeux, réfléchissant beaucoup trop sérieusement à une façon de régler ce délicat problème de dépendance affective naissante.

- Hum, cela dit … Si tu me touchais avec Nectar, et que je te prenais dans mes bras avant de filer de toit en toit, on serait très vite arrivés … Pour peu qu’on arrive à se retenir de s’embrasser sur le trajet. Je sais, c’est beaucoup demander … Mais je crois en toi, Partenaire.

Il avait retrouvé le côté pince-sans-rire propre à Bad Wolf, cet humour sarcastique qu’il maniait sans que son visage ne cille, et qui le distinguait de Nathan Delune, loin d’être aussi impassible quand il blaguait. Il ne put cependant réprimer un petit clin d’œil face aux yeux pétillants de sa partenaire. Il n’était plus si certain que sa blague en soit une, finalement.

Il était évident qu'aucun des deux n'avait envie de faire le premier pas pour se séparer de l'autre. Même les quelques minutes qui les séparaient de leur appartement paraissaient trop longues. Pourtant il faudrait bien qu'ils bougent, qu'ils rentrent chez eux. Elle eu un petit sourire. Ce "chez nous" sonnait différemment. En fait, c'était le "nous" en lui-même qui sonnait différemment.

- C'est ta faute. Tes bras n'ont qu'à être moins confortables.

Mais il avait raison. Ils habitaient sous le même toit, ils passeraient probablement toute la soirée incapables de se décoller l'un de l'autre, alors ça n'aurait pas dû être aussi difficile de le lâcher contre la perspective de se blottir confortablement contre lui. Sous un plaid, comme d'habitude – mais en même temps, très loin d'être comme d'habitude.
Elle émit un petit rire à sa proposition.

- Je savais pas que le loup solitaire avait des rêves de prince charmant.

Se retenir de l'embrasser... Oui, c'était faisable, bien sûr. Pour peu qu'elle ne lève pas les yeux, qu'elle ignore sa présence près d'elle et son parfum, et qu'elle n'écoute pas sa voix. Ça impliquait d'ignorer quatre sens pour s'assurer que le cinquième ne voudrait pas retrouver le goût de ses lèvres.
Parfaitement simple.

- Tu es mignon, je vais t'accorder ce privilège... par contre si tu veux qu'on y arrive sans s'embrasser, il va falloir arrêter les clins d'œil de ce genre, sinon on tiendra pas deux mètres.

Elle rit à nouveau avant d'invoquer son pouvoir à voix basse puis d'effleurer son partenaire avec la rapière qui était incluse dans le costume. Elle connaissait les effets du pouvoir, elle l'avait déjà utilisé sur elle-même, mais elle n'avait jamais expérimenté le fait d'être "normale" en allant à la vitesse que Zzin pouvait conférer.

Elle passa ses bras autour de son cou et plongea son regard dans le sien, ce qui s'avéra une idée relativement peu maline étant donné que ça ne fit que lui donner encore plus envie de l'embrasser.

- Ramène-moi à la maison avant que je craque.

Finalement, même s'il l'avait proposé comme une blague, ça restait le moyen le plus simple de rentrer sans risquer de se prendre un ou deux murs sur le chemin du retour à cause d'une incapacité à regarder la route.

Il semblait tellement loin, ce combat contre l’Astralisé qui les avait réunis ce soir-là. Et pourtant, dans le calme de la nuit Parisienne, une autre bataille se jouait. Aux proportions tout aussi épiques. Pokeberry et Bad Wolf menaient une lutte acharnée contre leur envie de ne plus se quitter. Et toute la détermination dont ils savaient faire preuve semblait subitement insuffisante. En même temps, comment résister à un sourire aussi doux ? A ses mots si soigneusement choisis pour le taquiner autant que pour le charmer ? Tout loup qu’il était, il était bien difficile pour Nathan de garder son flegme habituel. Et ces yeux …

Fort heureusement, il fut interrompu dans ce qui s’annonçait comme une autre digression sentimentale par le contact de la rapière de Pokeberry contre  son torse. Instantanément, il ressentit comme une décharge d’énergie traverser son corps, un frisson qui le parcourut des pieds à la tête.

- Wow … Ca réveille ! J’ai l’impression d’avoir bu  une dizaine d’expressos à la suite !  Ca te fait ça à chaque fois ?

Il secoua la tête dans une vaine tentative d’évacuer un peu de ce trop-plein de vie, mais c’était peine perdue. Son cœur battait la chamade, bien loin du  rythme tranquille caractéristique qu’il suivait sous l’influence calme de Lobbo. Ce n’est que lorsque Zoé vint l’enlacer à nouveau qu’il parvint temporairement à se recentrer. Sur elle, pour changer. La lueur de ses yeux bleus calma sa respiration. Mais il avait pleinement conscience que ce répit n’était que temporaire. Avec un sourire espiègle, il murmura.

- Je vais faire aussi vite que je peux. Mais dans le doute …

Il lui vola alors un baiser,  aussi tendre qu’il le pouvait sous l’influence de Zzin, et dans le même temps, souleva doucement l’héroïne du sol, plaçant ses bras sous ses cuisses pour la porter et l’inciter à l’enlacer, ce qu’elle fit. Il quitta alors à regret ses douces lèvres, et sur un ton qui flirtait avec le défi, il lui dit :

- Accroche toi, p’tit chat.

Et sans plus d’ambages, il s’élança en un éclair. Ses jambes, son corps, même celui de sa partenaire qu’il tenait précieusement serré contre lui. Tout lui paraissait si léger, comme si la pesanteur avait décidé de prendre une pause syndicale juste pour eux. Il avalait littéralement les mètres à chaque pas, en préservant miraculeusement un équilibre digne des plus grands pratiquants du Parkour. Le premier bond qui le propulsa d’un toit à l’autre lui arracha même un « Wouhou ! » sorti du cœur, tant la sensation de vélocité était enivrante. Mais pas autant que le fait de partager ce moment avec Zoé. Gardant quand même un œil  sur les points qu’il utilisait habituellement pour se repérer sur les toits de Paris, il ne pouvait totalement se détacher d’elle. Pas quand il sentait son cœur rythmer chacune de ses foulées.

- Alors, comment je me débrouille ?

Au même moment, il s’élança dans le vide qui le séparait d’un bloc d’immeubles de l’autre côté de la rue, utilisant son grappin-griffe, sur un point d’accroche en hauteur, pour le traverser dans un grand mouvement de balancier qui, sous l’effet de l’accélération, lui donna l’impression de s’envoler. Serrant instinctivement son étreinte sur Pokeberry, il assura une réception impeccable, avant de reprendre sa course effrénée. Déjà au loin, il devinait les silhouettes familières des immeubles de leur quartier.

Elle utilisait rarement le pouvoir du colibri sur quelqu'un d'autre. La plupart des gens qu'elle avait croisés au combat étaient aussi des porteurs de miraculous avec leurs propres capacités et du coup, elle avait tendance à s'accorder le bonus directement. En plus, comme ça, elle savait véritablement comment s'en servir, ce qui évitait de longues minutes d'explications sur ses effets. Elle n'avait donc que rarement l'occasion de voir quelqu'un affecté par le pouvoir du Nectar. Elle hocha la tête en réponse mais ne put s'empêcher d'ajouter un petit commentaire.

- Tu parles un peu vite, laisse-moi le temps de suivre le rythme au moins.

Forcément, il n'avait jamais ressenti soudain boost d'énergie. Ça faisait un drôle d'effet la première fois, même elle n'était pas encore totalement habituée. Mais le pouvoir avait aussi tendance à secouer psychologiquement ; l'envie de courir dans tous les sens était quand même présente.

Pour l'instant, en tout cas, il semblait avoir un ordre de priorité bien différent, vu qu'il ne se priva pas de l'embrasser après son petit commentaire. C'était quand même un petit peu de la triche. Comment était-elle censée ne pas craquer et rester à distance raisonnable jusqu'à ce qu'ils soient arrivés ? Impossible. Heureusement que lui gardait un petit ordre de priorités. Elle s'accrocha à lui dès qu'il la souleva du sol, s'installant confortablement dans ses bras tout en sachant que le voyage risquait de secouer un peu. Bouger à la vitesse du colibri en n'étant pas affectée par son pouvoir n'était sans doute pas de tout repos.

Elle avait l'habitude des acrobaties de super-héros, et encore heureux. Un instant, elle se demanda ce que ressentirait une personne n'ayant jamais porté de miraculous à sa place, puis elle laissa tomber cette pensée et enfouit son visage contre lui pour simplement se laisser porter. Elle avait une absolue confiance en lui. Elle rit un peu en resserrant son étreinte alors qu'il sautait dans le vide avec son grappin.

- Comme un loup sous caféine. Ou quelqu'un qui est très pressé de rentrer.

Sa voix était un peu hachurée par les mouvements de leur course mais elle arrivait quand même à s'exprimer clairement. Elle aussi, elle était pressée de rentrer. Une chance que le pouvoir de Zzin leur permette d'arriver aussi vite. Quand ils se retrouvèrent enfin sur le balcon de leur appartement, il ne s'était passé qu'une ou deux minutes, même pas assez pour épuiser l'effet du nectar. Assez pour que ses baisers lui manquent, par contre, alors elle profita de la première seconde où il n'eut plus besoin de courir pour revenir l'embrasser, avant même de poser pied à terre.

- Heureusement que tu cours vite, ça m'a déjà semblé long.

Maintenant qu'ils étaient rentrés, par contre, elle n'avait plus l'intention de le lâcher. Enfin, rentrés... il fallait encore ouvrir la porte du balcon et vraiment rentrer, mais l'idée était là.

L’adrénaline qui pulsait dans ses veines sous l’influence de Nectar avait sur Bad Wolf un effet exaltant. Si il n’avait pas tenu contre lui la personne la plus précieuse à ses yeux, il en aurait sans doute profité pour enchaîner les acrobaties sur les hauteurs de la ville, voire même piquer un petit sprint à la verticale le long de la Dame de Fer. Mais au milieu du maelstrom d’énergie et d’émotions qui l’habitait, il gardait son point d’ancrage au plus près de son cœur.

Ramener Zoé à la maison. Vite. Se détransformer. Vite. Se retrouver enfin, sans mission, sans Miraculous. Juste eux. VITE.

Une poignée de secondes plus tard, et ils avaient déjà rejoint le petit balcon qui jouxtait l’appartement qu’ils partageaient. Problème : l’effet du pouvoir de Pokeberry ne s’était pas encore dissipé. Il fallait qu’il se dépense encore. Il marchait sur place le temps de réussir à réaligner ses neurones pour trouver une solution, mais fort heureusement, il pouvait comme toujours compter sur le soutien de sa partenaire. Malgré son agitation, elle n’hésita pas une seconde pour se ruer à nouveau sur ses lèvres, appelant vers elles toute la concentration du Loup, qui lui rendit son baiser avec fougue. Le goût sucré de ses lèvres lui monta presque aussitôt à la tête, presque autant que le pouvoir de Zzin. Il en voulait encore. Il voulait la voir elle. Maintenant.

Raaaah VITE ON TE DIT.

Il libéra une de ses mains, supportant sans effort la légèreté de Pokeberry d’un seul bras, et tenta d’atteindre la poignée de la porte fenêtre à tâtons. Il finit par y parvenir, et enfin se retrouver dans leur salon, à l’abri des regards. Il ne prit même pas la peine de refermer derrière eux, trop occupé qu’il était à étreindre le Colibri. Mais il restait un tout petit problème. Et il parvint à l’exprimer, sans vraiment se rendre compte que son débit de parole était à la hauteur de sa cadence actuelle.

- Par contre, si tu ne te détransformes pas vite fait, je ne vois pas comment on va pouvoir expliquer aux voisins du dessous pourquoi je me suis mis à courir un cent mètres dans le salon à deux heures du mat.

C’était plus fort que lui, il sentait encore ce trop-plein de fougue. Et il savait qu’elle seule pouvait l’en libérer. Comme pour lui ouvrir la voie, il alla déposer une série de petits baisers le long de son cou, remontant jusqu’à arriver à son oreille, dans laquelle il murmura doucement :

- Détransformation.

En un flash lumineux décidément plus bref qu’à l’accoutumée, il était redevenu Nathan Delune. Un Nathan Delune pour le moins fébrile, pressé de retrouver son rythme normal pour pouvoir savourer pleinement chacune des secondes qui allaient suivre avec sa belle héroïne lovée dans ses bras.